Thaddeus Richard Voerman
Londres, Royaume-Uni.

Très chère Madame Hensley,

J'ai eu le plaisir de lire votre pamphlet dans la Gazette du Sorcier et mon enthousiaste fut tel que je me suis empressé de prendre ma plus belle plume pour vous faire part de mon admiration. D'ordinaire, je ne m'occupe pas des affaires des mortels, mais la votre m'a passionnée. Je vous approuve sur toute la ligne, Madame, et je vous assure de mon indéfectible soutient. C'est extrêmement courageux de votre part d'avoir élevé la voix contre votre gouvernement, aussi honteux soit-il. Je suis intimement persuadé que vous n'êtes pas la seule à être de cette avis, que vous avez dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, mais qui aurait assez d'audace sinon vous pour le crier au et fort dans le journal national ? En cela, ça vaut ce que ça vaut, mais vous avez gagné mon respect, Madame la Ministre.

Cet aveu aura sûrement des conséquences négatives sur votre carrière, ne nous voilons pas la face, mais est-ce vraiment un mal ? Le Ministère est vraisemblablement corrompu et le essayer de le changer de l'intérieur semble revenir à creuser une muraille avec un cure-dents. Une vaine utopie. Le grégarisme des masses laborieuses me laissera toujours abasourdi ; comment autant de monde peut-il se conformer à une telle injustice, se complaire dans une telle misère politique ? Loin de moi l'idée de vous paraître méprisant, mais j'ai le sentiment que votre peuple n'est pas à même de se soulever par lui-même et qu'il a besoin d'une personnalité telle que vous pour l'aider à ouvrir les yeux sur la catastrophe qui les guette, fruit de la flagrante incapacité de Folengrain à gouverner qui que ce soit avec discernement. C'est à se demander comment cet iconoclaste a pu être élu.

Mais pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. Vous avez peut-être déjà entendu parler de moi ; je suis un agitateur assez notable pour que ma réputation me précède. Je suis Thaddeus Voerman, président directeur général de la Voerman Corporation depuis sa fondation en 1849 et militant actif pour les droits de ceux que les sorciers nomment les « créatures ». Pour ma part, je préfère le terme de « peuple magique civilisé » qui ne nous qualifie plus injustement d'animaux et de bêtes. Rentrent dans cette catégorie les peuples intelligents qui mériteraient de s'auto-gérer. Mais passons car mon combat n'est guère le sujet de cette lettre. J'ai mauvaise presse au Ministère et je suis bien conscient d'être la cible de railleries, mais je ne regrette rien, je suis même plutôt satisfait de ma mauvaise réputation. Ça ne m'empêchera pas de me rendre au bureau du Ministre pour lui exposer le fond de ma pensée sur lui et ses méthodes répugnantes, ça ne m'empêchera pas non plus de le violenter à nouveau s'il dépasse les bornes – il me doit une fracture du nez et ce souvenir me transcende, je l'avoue. Quant au reste, je pourrais commencer à collectionner les injonctions du Département de Régulation des Créatures Magiques. Ne pensez pas, Madame, que je suis une brute épaisse. Je me bats pour les idéaux qui me tiennent à cœur et Folengrain méritait sa correction tant la violence raciste de ses propos laissait à désirer.

Cela me ferait immensément plaisir que nous nous rencontrions vous et moi. Considérez-moi, je vous prie, comme votre allié. Si la perspective de me rencontrer vous effraie, je peux tout à fait l'entendre car mon régime anthropophage a de quoi dissuader les plus téméraires. Dans ce cas, je me contenterai d'une correspondance si vous le voulez bien. Je peux cependant vous jurer sur l'Honneur que vous n'avez rien à craindre de moi ; j'arpente le Monde depuis suffisamment longtemps pour contrôler ma soif de sang.

Dans l'attente de votre réponse, Madame, veuillez accepter mes sentiments les plus distingués.

Thaddeus Voerman, PDG de la Voerman Corporation.
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Je crains malheureusement être plus réaliste que paranoïaque en pensant qu’adressée à vous, une note de service aura moins de chances d’être lue par un tiers qu’un hibou personnel.

Ne se connaître que de vue ne rend sans doute pas cette missive déplacée. Du moins j’espère que vous ne la prendrez pas mal.

Ce sont des temps sombres, que nous vivons. Corruption et petits arrangements. Au sein même du Ministère on ne sait plus à qui se fier. Mais vous êtes aussi bien -voire mieux encore- placée que moi pour le savoir.

Et si je ne suis pas une femme de convictions pour autant j’aime à penser qu’il y a encore dans notre institution des individus qui croient au changement. Ceux qui peut-être pourraient sauver le pays de la ruine.
Si ces personnes existent vraiment, nulle doute que vous pourriez en être la porte parole.

Car vous avez du courage, Mme Hensley, et pour cela je vous admire. Par vos actes et vos mots, vous avez gagné mon respect. Plus que la justice et la droiture d’esprit, vous incarnez à présent un espoir de renouveau. Sans doute est-ce cela dont le peuple anglais a besoin.

Cependant je ne vous laisserai pas croire que je pourrai un jour vous soutenir ouvertement. Ce serait très certainement vous mentir. Comme je viens de l'écrire : je suis dénuée de réel esprit partisan ; l'engagement ne m'intéresse pas.

En vous souhaitant sincèrement de survivre à vos paroles,