Les deux fluides blanchâtres se rencontrèrent dans une vapeur de fumée anthracite qui fit tousser le médicomage, malgré le masque de protection qu'il portait en ce moment. Anselme vivait pour son travail, alors il était logique qu'il ramène des devoirs à la maison. Par la même occasion il pouvait, de cette manière, combler l'absence de son colocataire. Pas si simple d'attendre toute la semaine pour profiter de sa présence seulement deux petits jours. Ça devenait vraiment difficile à tenir, comme le peu de considération de la part de Clément pour les sous-entendus que Anselme sortait de tant en tant. Histoire de tendre une perche pour avouer ses sentiments sans se mouiller complètement. Mais son ami s'évertuait à fermer les yeux ! C'était rageant, Anselme n'avait pas pour habitude de faire preuve de patience et trois ans à attendre, à cacher ses sentiments, c'était vraiment surhumain !
Mais mieux valait garder toute sa concentration sur l'opération délicate qu'il était en train d'accomplir, surtout ne pas... bou..DRIIIIIING.

L'un des flacons se fracassa sur le sol éparpillant le précieux liquide qui alla ronger le parquet.
Anselme leva les yeux au ciel, qui pouvait bien le déranger en cet instant, qui avait osé ?
Le médicomage s’avança d'un pas bourru vers la porte de d'entrée, l'ouvrant à la volée.
Mais il n'y avait personne pour recevoir en pleine face son regard foudroyant. Il baissa la tête pour découvrir un petit paquet kraft au pied du paillasson. Le tout emballé d'un jolie petit nœud doré.
Anselme attrapa le colis entre ses mains et jeta un regard sur la cage d'escalier... personne.

Après avoir refermé la porte il défit le ruban pour découvrir un flacon ouvragé.
Il déboucha le flacon et le fit sentir à Prosper... pas de réactions, le crapaud gardait sa tête d'idiot. Prosper était pour Anselme le parfait goûteur, à force d'expériences il savait détecter d'un seul coup de narines les poisons les plus insidieux. Pratique n'est-ce pas ?
A son tour Anselme respira le flacon... une douce odeur camphré s'en échappait, ni une ni deux le jeune homme bu tout le contenu. Il ne savait pas qui l'avait envoyé ici, ni pourquoi, mais une chose irrépressible l'amenait à boire, comme si le colis avait été enchanté.

Il allait retourner à ses petites affaires lorsque la sonnette vint à nouveau meurtrir ses oreilles.
« Mais c'est pas bientôt fini, je vais vraiment m'é... oh Jodie ! »
Devant lui se dressait la meilleure amie de Clément.
Le cœur d'Anselme battait plus vite qu'à l'habitude pendant qu'il regardait cette jeune femme plantée là avec son sourire si candide. Jodie toujours joyeuse, toujours radieuse avec sa chevelure de feu... tellement belle aujourd'hui, pourquoi ne l'avait t-il jamais remarqué jusqu'à maintenant ?

Le ton d'Anselme se radoucit soudainement, tout en continuant à dévorer des yeux la vendeuse de bonbons, comme s'il venait de découvrir quelque chose d'important. « Bonjour, je... Clément n'est pas là, tu veux rentrer quand même ? »

Tu suivis du regard la jeune femme traverser l'appartement tout à son aise. Tu avais l'impression que, ce soir là, sa présence occupait tout la pièce. N'étais-elle pas absolument mignonne à chouchouter Prosper de cette manière ? Tu te perdais dans la contemplation de ses traits si délicats. Franchement, comment avais-tu pu rater ça ? C'était tellement nouveau pour toi ce sentiment. Quelque chose de totalement différent du sentiment que tu pouvais ressentir pour Clément, tellement dérisoire par rapport à ce que tu éprouvais désormais pour la belle Jodie et son sourire charmeur. Lorsqu'elle se posa sur le canapé tu étais encore planté au même endroit où tu l'avais accueilli, toujours perdu dans ton admiration.

Et puis vos regards se croisèrent. Tu entendais ses paroles comme un écho lointain... oh tu étais parti loin Anselme. Tu voulais lui répondre cependant que tout allais très bien, mais aucun son ne sorti de ta bouche. Et tu la voyais s’inquiéter sans pouvoir faire quoique ce soit.
Mais lorsqu'elle sauta hors du canapé précipitamment, le déclic se fit et tes membres reprirent leur fonction. Tout comme les muscles de ta bouche.

Elle avait déjà renversé une demi-douzaine de potions. D'habitude, tu serais rentré dans une colère sourde pour une chose pareille. Mais pas ce soir. Au lieu de lui crier dessus tu lui attrapas son bras le plus proche pour la calmer.

« Ne t'inquiète pas Jodie, Prosper n'a rien et toi non plus... ça va aller. » Un regard au bureau en désordre. « Je vais ranger tout ça » dis-tu en souriant à ta Dulcinée.

Rapidement, tu remis sur pied les flacons pour éviter que des liquides se rencontrent et provoquent des explosions.

« Tu as faim... tu veux manger quelque chose peut-être ? » Fébrilement tu allas vers le frigo... il y avait le reste du gâteau -à la fraise- que Clément avait préparé, deux parts c'était parfait ! Tu t'affairas pour aller chercher des assiettes, des petites fourchettes et tu déposas les portions sur la table basse du salon.

Tu devais ressembler à une collégien devant son premier amour. Tu avais le rouge aux joues et la démarche maladroite. Tu t'assis sur le canapé et attrapa une assiette, histoire de t'occuper.

« Et dis-moi... comment tu vas ? Hum... ton travail se passe bien j'espère ! » Tu te maudissais pour ta banalité affligeante, et te giflais mentalement.

Toujours sur ses deux pieds, pas de doigts palmés ni de pustules sur son visage. Soit, elle n’avait rien. Les plus à plaindre étaient sans doute les fioles maladroitement –quoique, quand on considérait Jodie, normalement- renversées. Alors la jeune s’attendait aux mille reproches d’un Anselme qui allait, dans approximativement 6 secondes, lui exposer le pourquoi du comment elle venait d’entraîner une catastrophe mondiale, comme si la perte de quelques précieux liquides expérimentaux aurait approximativement les mêmes conséquences qu’une explosion atomique. Les sourcils froncés, les narines retroussées de dégoût, Jodie savait exactement comment la figure du médicomage allait se transformer. Du moins en théorie. En théorie car, croyez-le ou non, Anselme fit preuve d’un calme exemplaire. Un calme qui venant de lui était tout simplement effrayant.
Septique, Jodie hésita un instant avant d’acquiescer à la proposition de part de gâteau. Car il devait y avoir anguille sous roche. Anselme contenait sa colère pour la faire exploser plus tard. Oooh… Le poison n’était peut-être pas dans la bave de Prosper mais dans la mousse à la fraise de la pâtisserie ? Mais impossible de résister à l’appel du sucre. Tant pis, au pire elle mourrait heureuse, la bouche pleine de génoise.
Tout en le fixant du coin de l’œil, Jodie piqua du bout de la fourchette dans la part de gâteau que le sorcier venait de lui tendre et la porta lentement à la bouche, sans le quitter du regard, s’assurant tout de même qu’il avale une bouchée avant elle. Lorsqu’il l’eut fait, elle l’imita et… Dieu que c’était bon. Merveilleux. Excellentissime. Du génie de Clément tout craché. Impossible de résister, il lui en fallait plus, tout de suite, si bien que la jeune femme ressemblait désormais à un hamster tant elle venait de s’empiffrer.
Lorsqu’il lui demanda comment se passait son travail, elle leva à peine le nez, très occupée à se demander comment Anselme avait pu avoir la force psychologique de ne pas finir en douce cette pâtisserie.

- Cha che passe bien.

Elle avala avec peine ce qu’elle avait dans la bouche afin de reprendre de façon plus compréhensible.

- Avec la Saint-Valentin on a eu encore plus de clients que d’habitude. Et je peux t’assurer que nos bonbons éditions limitées ont super bien fonctionné.

Elle posa son assiette déjà à moitié vide afin de fouiller dans les poches de son pantalon et d’en sortir deux petites friandises en forme de cœur, emballées dans un papier rose.

- Tiens, je t’en offre. Ceux là je les ai appelés « coup de foudre Londonien ». Coup de foudre parce que ça pétille en bouche, et londonien parce que ça a le goût du meilleur Summer’s pudding de la ville. J’espère que ça te plaira.

Maintenant qu’elle s’était débarrassée des deux bonbons, elle put reprendre en main sa part de gâteau.

- D'ailleurs je trouve ça génial, la Saint-Valentin, soupira-t-elle, songeuse. C’est agréable de voir tous ces couples, des bouquets de fleurs et boîtes de chocolats... Et c’est l’occasion parfaite pour les nouvelles idylles, ce qui est super mignon, tu ne trouves pas ?

Quoiqu’elle avait au fond beaucoup de mal à imaginer Anselme déclarer sa flamme à qui que ce soit ou s’émerveiller devant des amours de jeunesse. Car elle pensait à présent assez bien le connaître pour avancer que ce qu’il l’émoustillait en priorité, c’était les cas tordus d’empoisonnement et autres expériences que le commun des mortels jugeait moyennement nettes.

Les cheveux de Jodie n'était pas une simple crinière rousse comme le commun des mortels pouvaient avoir sur le sommet de leur crâne, ils apparaissaient comme des vagues où se mêlaient la vivacité de l'incarnat et la brillance du rubis. Douce mort de pouvoir se noyer dans cette marée rouge pensais-tu. Les sourcils faisaient le rappel et donnaient l'impression d'avoir été savamment taillés par Donatello en personne. Tu laissas ton regard éperdu glisser le long de l'arrête de son nez, et quel joli nez que voilà ! Une courbe rondement menée à la perfection.
Le tout donnait un tableau affreusement divin, bien au-delà de la Vénus de Milo. Jodie était ton Aphrodite, ta déesse naît de l'écume rubiconde d'un océan infini où se jetait ton amour. Chacun de ses regards innocents qu'elle posait sur toi te rendais toute chose.

Inspiration. Expiration.
Toute déesse inaccessible qu'elle était, ses mains venaient d'effleurer ton bras lorsqu'elle déposa les deux sucettes sur la table. Ce contact provoqua en toi une série d'infimes réactions en chaîne : Augmentation du rythme cardiaque. Montée d'adrénaline. Chaleur au niveau des joues. Tremblement compulsif. Qui aurait cru qu'un simple frôlement aurait pu être la cause d'un si grand chamboulement ? Tu as l'impression que ton corps est pris dans un cube de béton, même ton cerveau semble touché. Rivé au sol par l'apesanteur.

« Je. Euh. C'est. Merci... » Charabia, arriverais-tu à formuler une suite logique de mots ? Pas certains. Tu avais toujours considéré la Saint-Valentin comme une fête inutile juste bonne à faire vendre des fleurs, des chocolats et des cartes de vœux. Ronchonnant sur la mauvaise habitude de Clément, qui contrairement à toi, semblait trouver ce genre de festivités très à son goût. Et pourtant, tu aurais voulu acheter un rayon entier de roses pour les offrir à Jodie, dévaliser une boutique de bonbons, crier sur tous les toits ton amour.

« Malheureusement la personne que j'aime ne partage pas mes sentiments, en vérité je n'en suis pas tout à fait sur mais le contraire me surprendrait » Sourire lasse. « Je ne suis pas un homme aimable, dans tous les sens du terme. » Tu brûlais d'un amour impossible tu le savais.

« Jodie... » arriverais-tu à dire la vérité ? Laisser enfin tes sentiments exploser ? « Je. Suis content que tu sois là. Tu compte beaucoup pour moi. » Ah quel honte, où étais donc passé le grand Anselme, tu avais l'impression que depuis l'arrivée de ta charmante amie ton esprit était partie en fumée.

Alors qu’elle s’était mise à lécher consciencieusement son assiette désormais vide afin de ne pas laisser la moindre petite trace de crème, un soudain élan de sentimentalisme provenant d'Anselme la laissa quelques secondes paralysée dans une peu gracieuse position.
Ca alors. Elle n’aurait jamais cru que le médicomage puisse être amoureux d’autre chose que de ses potions. Et surtout pourquoi venait-il le lui dire à elle ? Certes, ils étaient bons amis, mais plutôt complices dans la torture de Prosper que confidents amoureux. Elle aurait volontiers pensé que Clément était plus à même de discuter de cela… Cela devait être l’effet Saint-Valentin. Et si la chose était déconcertant, pour autant ce n’était pas déplaisant. Comme si elle gravissait une marche dans cette échelle de l’estime d’Anselme de laquelle Jodie espérait un jour venir à bout.

- Eh! Si le contraire te surprendrait ça veut dire que tu ne lui as jamais demandé ?! Mais il faut tenter ta chance ! Et puis t'es pas un sauvage non plus, tu sais te montrer aimable.
Légère grimace.
- Parfois… La preuve, tu m’as ouvert la porte sans râler.

Ce qui venant d’Anselme était déjà pas mal. Une jolie preuve de civilité. Ajoutez à cela une part de gâteau et pas de crise de nerfs lorsqu’elle avait maladroitement renversé ses potions et vous obteniez un vrai gentleman… Ce qui, quand on parlait d’Anselme, était tout de même étrange. Si étrange que Jodie s’en formalisa presque, soudain prise de soupçons. Mais trop heureuse de pouvoir jouer les conseillères conjugales, elle préféra ignorer pour ce concentrer sur ce qui était important. Donc pas sur la déclaration d’amitié du jeune homme, à laquelle elle répondit franchement mais sur laquelle elle ne désirait pas s’attarder plus que nécessaire.

- Merci Anselme. Ca me fait plaisir que tu dises ça ! Toi aussi tu comptes pour moi.

Car malgré ses extravagances, Jodie pensait pouvoir se targuer d’avoir fait d’Anselme un véritable ami. Un ami peu commun et avec lequel elle s’imaginait très mal passer des vacances à la mer, mais un ami tout de même.
Cependant ils avaient mieux à faire que de lancer des fleurs mutuellement, Anselme avait le cœur d’une femme à conquérir !
Résolument elle fit un quart de tour sur le canapé pour se tourner vers lui et planter deux yeux décidés dans les siens.

- Bon. Alors. Ta dulcinée. Tu pourrais lui écrire une lettre ? Si tu veux je t’aide.

Et si tu ne veux pas elle t’aide quand même.
Sans lui laisser le temps de refuser sa brillante idée, Jodie se leva et attrapa papier et plume qui trainaient sur une commode et les posa devant Anselme.

- Aller, écris, je te dicte le début. « Chère » … Chère qui, au fait ?

Toute lettre se devait en effet de commencer par un prénom. Il aurait été fâcheux que la destinataire de la lettre se méprenne à cause d’un manque de précision.

Jodie était loin de s'imaginer les conséquences qu'avaient eu sur toi ces petits compliments lancés et aussitôt oubliés. Car chaque mot de sa part fut comme un feu d'artifice dans ta poitrine, tu t’efforças de ne pas étaler les lèvres bêtement alors qu'au même moment un millier de petites étoiles crépitaient dans ton cœur tellement tu étais aux anges. « Toi aussi tu comptes pour moi. » disait-elle et te voici à l'apogée, tu pouvais désormais mourir dans la paix, béatifié par sœur Graham. Quel bonheur tu vivais là. Depuis que sur le pas de ta porte elle était apparue, tu brûlais d'un feu- que dis-je, d'un brasier vivant ! Tu ne te demandais plus quelle avait été la raison pour laquelle tu n'avais pas plus tôt compris à quel point Jodie pouvait être la femme de ta vie, car tout cela te devenait, en cet instant, si évident. C'était comme si il y avait eu la vie avant, et maintenant la vie avec Jodie, où il t'avait été possible d'ouvrir les yeux sur la beauté qui s'était si longtemps cachée sous les traits de ta charmante rousse. Ce qui précédait semblait n'être désormais qu'un cauchemar lointain. La lumière était devant toi.

Tu pus une nouvelle fois, voir à quel point cette jeune femme était une précieuse petite chose lorsqu'elle te proposa si gentiment son aide pour te déclarer. Elle ne se doutait, bien entendu, que tout ton amour était dirigé dans sa seule direction.

« Chère … chère amour, soleil de mes jours. Tu provoques dans tout mon être une sensation de bonheur que je n'ai jusqu'à lors jamais ressenti. J'aimerai passer mes doigts sur ta peau faite de lait doucement blanchit par la douceur du petit matin. Cette beauté si divine que tu portes sur ton visage ne peut être que éphémère tant elle semble appartenir à un autre monde que celui des mortels.  »

Continuerais-tu ainsi, faisant mine de te déclarer à une autre personne alors que celle que tu aimais était à tes côtés ? N'y tenant plus, tu te mis à genoux sur le parquet, tu la débarrassas de la plume qu'elle tenait encore et pris ses mains entre les tiennes, t'adressant à elle directement désormais. « Oh ma charmante Jodie, serais-tu assez folle pour faire souffrir ainsi un homme qui brûle d'amour en ton nom ? Je t'aime Jodie, je t'aime, je t'aime et je ne le dirais jamais assez. » Sans lui laisser le temps de reculer, tu déposas sur sa bouche un baiser fougueux, serrant encore plus fort et avec plus de chaleur ses deux petites mains. Il ne tenait plus qu'à elle de le repousser ou de prolonger l'échange.

Sa déclaration d’amour commençait à prendre une tournure guimauve assez étrange. Certes, c’était plutôt jolie, tout ce qu’il disait, mais tout de même assez étrange. D’une sincérité qui aurait pu être touchant, mais uniquement si elle avait émané d’une personne autre qu’Anselme. Car quand bien même on considérait qu'il débordait d'amour, son comportement devenait de plus en plus étrange. Et un peu trop personnel au goût de Jodie.

- Je t'aime Jodie, je t'aime, je t'aime et je ne le dirais jamais assez.

… C’était un prénom commun, Jodie, non ? La chose n'était peut-être pas totalement inquiétante...
Mais embrasser ses amis ça l’était tout de suite plus ! Dès qu’Anselme eut posé ses lèvres sur les siennes, elle bondit littéralement en arrière, sauta hors du canapé en attrapa un cousin derrière lequel se barricader. Qu’il n’approche pas, ô grand dérangé qu’il était.

- Mais t’es complètement malade !

Sérieusement, qu’est-ce qu’il ne tournait pas rond chez lui ?! Mince quoi, ça ne se faisait pas d’embrasser les gens comme ça. Et surtout pas ses amies. Tout comme on ne leur débitait pas de si saugrenues âneries.
Et non, il était hors de question qu’elle se montre compréhensive et le repousse simplement gentiment. Car de toute évidence il n’était pas dans son état normal. Anselme, le VRAI Ansemble, n’était pas une guimauve dans le genre. Amoureux, d’accord –et à bien y réfléchir, c’était tout de même étrange-, mais pas à s’en transformer en pseudo poète dégoulinant d’un romantisme à la vieille comédie moldue.

- Qu’est-ce que t’as encore testé comme potion bizarre ?!
Car objectivement, seule la magie pouvait expliquer ceci. Anselme ne pouvait pas agir de la sorte de son plein gré.
- Faut vraiment que t’arrêtes de t’auto servir de cobaye.

A ce rythme là il allait finir par écrire des lettres enflammées à Folengrain. Ca pouvait devenir carrément dangereux.
Elle se précipita donc vers l’étalage de potion du médicomage et les détailla à la hâte, incapable de deviner ce que pouvaient contenir les différentes fioles mais espérant trouver que quelque chose qui attirerait son attention. Un truc rose peut-être ? Mais rien de la sorte ne se présentait. Prise par le dépit, elle attrapa donc Prosper et le fixa avec intensité.

- Prosper, il a bu quoi ?
Mais elle eut pour seule réponse un coassement sonore. Coassement qu’elle jugea au demeurant totalement dépité. Oui, Prosper était formel : Anselme était décidemment totalement à côté de la plaque. Complètement, parfaitement à l’ouest.
- Tout à fait d’accord avec toi, Prosper.

Jodie reposa le crapaud délicatement où elle l’avait trouvé et se retourna vers Anselme.

- Bon. Je t’emmène à Sainte-Mangouste, tu ne peux décemment pas rester dans cet état.
A petits pas mal assurés elle avança vers lui, affichant toujours un air plein de suspicion et brandissant son coussin qu’elle n’abaissa que petit à petit.
- Je vais t’attraper la main pour transplaner. Mais si tu tentes quoi que ce soit : je mords !

Et elle était parfaitement sérieuse. Elle avait fait un an de karaté à l’école primaire et était tout à fait capable de se défendre.

Oh rage, oh désespoir ! Jodie, la magnifique Jodie venait de te refuser tout net ton courageux baiser. Et le monde pouvait se faire pulvériser par une météorite de la taille de Vénus que ça ne te ferait plus rien, ta vie était terminée, finie, réduite en poussière. La cruauté faite femme, ce qui la rendait encore plus désirable tout bien réfléchi.

« Mais … ma douce … enfin ... mais je t'aime ! »

Articulais-tu tout bas pendant que la rousse cherchait la cause de ton comportement inhabituel. Pourtant elle se trompait, tu avais simplement ouvert les yeux sur tes sentiments et voilà comment elle te remerciait. C'était fort ça ! Tu lui proposais ton cœur, là sur un plateau avec les meilleures intentions du monde et elle te repoussait tout net. Dépité, tu la regardais, l’œil vide, troublé.

« Bon. Je t’emmène à Sainte-Mangouste, tu ne peux décemment pas rester dans cet état. » 

Mon dieu Anselme si tu ton cerveau ne marchait pas au ralentit tu n'aurais jamais accepté, c'était la honte assurée pour des millénaires lorsque tu reviendrais au travail le lendemain. Surtout que Jodie allait sans aucun doute t'emmener à l'étage des empoisonnements … ton service avec Alistair ou Paradise prêts à vous accueillir. Les cancans iraient bon train demain. Il fallait la faire changer d'avis, utiliser un subterfuge savant comme tu en avais l'habitude ...

« Tu ne veux pas reprendre une part de gâteau avant de pa- »

Pitoyable. Trop tard, vous étiez déjà dans le couloir principal.
Mue par le peu de dignité qu'il te restait, tu attrapas le bras de Jodie.

« Je vais bien, je n'ai rien bu à part cette potion que l'on m'a envoyé ce matin, Tu sors le flacon vide de ta poche. mais je l'ai fait sentir à Prosper avant, le mélange était inoffensif. Je te jure ! Tu peux tout de même faire confiance à un professionnel de ce genre de cas ? Je t'en prie. Mon état est tout à fait normal, je me suis simplement rendu compte que- … je pensais aimer Clément, mais c'était avant que je te regarde vraiment et que je découvre à quel point tu es splendide ! »

Certes, tu reprenais un peu du poil de la bête après cette épisode guimauve à l'appartement mais ce n'était pas encore ça, avouons-le.

« Ne me laisse pas Jodie. »

Ah non, tu n'allais tout de même pas pleurer devant elle ! … enfin, si peut-être. Ouais carrément.

Jodie soupira légèrement lorsqu’il vint s’accrocher à elle. Enfin. A présent qu’ils étaient dans l’enceinte de l’hôpital, cette scène complètement aberrante semblait enfin se diriger vers une fin. Entendant la justification bancale d’Anselme, Jodie fronça d’abord légèrement les sourcils. Puis ouvrit une grande bouche d’étonnement en entendant le nom de Clément. Ca alors ! Si elle s’en serait doutée... Mais retenant un sourire béat de satisfaction face à cette annonce inattendue mais extraordinairement géniale –évidemment, elle était déjà en train de se faire un roman feuilleton mental de l’avenir du couple Clément/Anselme-, la sorcière tenta d’afficher un air intransigeant. Car après tout, Anselme-l’idiot-empoisonné serait capable de prendre pour lui un sourire lancé en réalité à une heureuse perspective.

- D’une, non, je ne te fais absolument pas confiance. De deux, il faudra qu’on parle du reste un de ces jours…

Arrivés dans le département des empoisonnements, l’adulte responsable du duo (oui oui, on parle ici bien de Jodie) interpella l’infirmière qui se trouvait à l’accueil.

- Bonjour madame. On a un léger souci. Un empoisonnement. Je pense qu’il est en train de s’étouffer dans sa propre miellitude, donc c’est assez urgent.
Elle lui tendit le flacon tout juste récupéré des mains d’Anselme.
- Par contre, si vous pouviez éviter d’ameuter tout le service et garder relativement secret l’état du médicomage Alwell, ce serait très appréciable.

L’infirmière devait visiblement être nouvelle, parmi les seules qu’Anselme n’avait pas traumatisées et/ou simplement adorable, puisqu’elle acquiesça gentiment. Et, après avoir indiqué à Jodie qu’elle pouvait aller faire asseoir Anselme sur le lit de la chambre vide juste à gauche, partie avec le flacon à la main.
Mais évidemment, tout ne pouvait pas être juste simple. Voilà qu’Anselme, imaginant que Jodie aurait pu l’abandonner à un sort triste et incertain, se mettait à fondre en larmes. Elle leva les yeux au ciel, définitivement dépitée par cet homme qui pourtant était supposé se trouver à l’antipode du sentimentalisme, plein de raison et de maturité.

- Arrête donc de pleurer, je n’ai pas dit que je t’abandonnais.

Jodie lui ne laissa pas le temps de se plaindre plus et le poussa jusqu’à la chambre indiquée. S’asseyant sur le lit, elle fit un geste de la main à Anselme afin qu’il vienne en faire de même. Et prise de pitié pour lui, lui donna ce qui s’apparentait à une tape amicale sur l’épaule.
A peine quelques minutes plus tard, minutes durant lesquelles Jodie grâce au théorème du le-roux-et-le-brun-ne-vont-pas-bien-ensemble-je-viens-de-le-décider le pourquoi du comment leur idylle était impossible, l’infirmière revint avec une potion à la main et un air légèrement apitoyée pour Anselme.

- Philtre d’amour, déclara-t-elle. Buvez cela et dans quelques secondes vous vous sentirez mieux.

La jeune femme tendit le verre à Anselme, sourire en prime.
Sentant la contestation –« Mais JE suis le spécialiste » ; « Je refuse de boire quelque chose préparé par un tiers » ; « Si ma génialitude n’est pas à l’origine à cette potion, alors c’est du poison ! » etc-, la rouquine prit les devants.

- Si tu bois cul sec, je te fais un bisou.

Une fois la potion ingurgitée et l’infirmière repartie avec le verre vide, Jodie fixa Anselme de ses grands yeux, guettant le moindre petit effet, et finit par se pencher dangereusement vers lui pour tester le résultat.

- Alors, Anselmouchou… On veut toujours convoler en lune de miel ?

Elle tendit les lèvres vers lui, s’apprêtant à sauter en arrière en criant à l’agression au cas où le remède aurait échoué.

C'était trop triste ! Jodie, ton rossignol du printemps ne semblait pas vouloir entendre la vérité : votre amour était le plus grand, le plus romantique, le plus unique, le plus beau de tout l'univers, même plus pur que les licornes. Au lieu d'accepter cette évidence –peut-être par modestie … oh le cher ange– elle te croyait empoisonné par tu ne savais quel philtre. Ce qui voulait dire qu'elle ne pensait pas que tu puisses te déclarer ainsi dans un état « normal ».?! Mince, tu étais un homme après tout ! Doué de la capacité de ressentir des émotions, même si beaucoup de personnes pouvaient penser le contraire. Mais pas toi Jodie, non pas toi ma petite musaraigne !

« Tu es cruelle, la réalité est devant tes yeux, nous sommes fait pour vieillir ensemble ! » Tu écartais les bras et fit la moue prêt à quémander un baiser. Mais tu ressemblais plus à une fouine tentant d'imiter un canard drogué qu'à un amant transis d'amour pour sa belle comme dans les romans de chevalerie.

En plus, tu étais certain que votre progéniture serait absolument parfaite, combinant ton intelligence hors-norme et la beauté olympique de ta future femme –oui, vous vous marierez et partirez en nuit de noces, direction le pays des pandas pour faire de magnifiques bambins, la chose était arrêtée !–. Pendant que tu planifiais chaque détails du mariage entre deux reniflements : la robe, la place des invités, le choix de la musique ... La rousse te poussait dans la chambre indiquée plus tôt par l'infirmière. Cette dernière revint assez vite –trop vite même, tu n'eus pas le temps de profiter seul à seul de ta charmante amie pour lui expliquer votre plan d'avenir– avec une préparation qui devait, disait-on, te redonner ton état naturel. Tu avais envie de leur demander quelle manie elles avaient de vouloir te soigner à tout prix, tout allez bien tu pouvais l'assurer.

« Si tu bois cul sec, je te fais un bisou. »

Mais comment refuser une si belle récompense de la part de la future mère de tes enfants ! Alors dans l'espoir fou de pouvoir à nouveau embrasser ta chère et tendre –et cette fois-ci avec son consentement– tu te dépêchas de boire ce dit-remède-puisque-rien-ne-clochait-chez-toi-voyons. Une chaleur se répandit dans ta gorge comme si tu venais d'avaler un alcool à fort degrés. Tu eus soudainement l'impression qu'un brouillard venait de se dissiper dans ta tête, maintenant que tu avais les idées plus claires tu pouvais ressentir la différence.

« Alors, Anselmouchou… On veut toujours convoler en lune de miel ? » La voyant se rapprocher dangereusement de ton visage tu te reculas précipitamment en arrière, quittant le lit où tu étais assis quelques secondes plus tôt.

« Qu'est-ce que tu fiches Jodie, tu es tombée sur la tête ?! » Douce ironie de ta part. Tu te rendis soudainement compte que tu n'étais plus dans ton appartement, mais à l'hôpital. Comment avais-tu pu atterrir ici ?

Dans une fulgurance tu revis les événements précèdent avec cette fois-ci la tête purgée de toute potion malveillante. Autant dire que les scènes n'avait plus du tout la même résonance, ni le visage de la jeune rousse qui, restant néanmoins jolie à regarder d'un point de vue objectif, perdait toute son attirance divine qui te donnait quelque temps plus tôt des envies de conquérir le monde. Horreur ! Comment avais-tu pu réagir ainsi, tu ne comprenais absolument pas ce qui c'était passé. Si, la potion et ce sortilège qui t'avait obligé à la boire ! Tes joues se mirent à rosirent, non pas par passion cette fois-ci, mais d'une profonde gêne -heureusement que tu omettais pour l'instant l'épisode où tes paroles s'étaient égarées à propos de ta relation avec Clément, sinon tu aurais terminé en tomate-.

« Par Merlin … est-ce que c'était moi ? » La bouche ouverte, tu regardas ton amie afin de chercher dans son regard une trace qui, à ton plus grand soulagement, contredirait ton propos. Pourvu qu'elle te rit en nez en te disant que tout cela n'était qu'un rêve –ou plutôt un sacré cauchemar–. Mais malheureusement, au fond de toi, tu savais bien que c'était la vérité vraie.

Encore une petite seconde et… Voilà ! D’un coup on retrouvait Anselme. Le vrai. Celui qui préférait se jeter par la fenêtre plutôt que de partager ses germes avec elle. Enfin un peu de normalité dans ce monde de guimauves et de cœurs en sucre, excellent.

- Si moi je suis tombée sur la tête ?

L’hôpital que se foutait de la charité. Mais grâce à ses joues rouges et son quasi trépa de honte Anselme se rattrapa. En attendant qu’il reprenne un peu plus ses esprits et parvienne à articuler une phrase intelligible, Jodie s’allongea sur le lit déserté et prit un air rêveur.

- J’espère que nos enfants seront roux,sinon je serai très tentée de les renier, commença-t-elle à voix mi-basse. Et comment on pourrait les appeler ? Je pensais à Pimprenelle et … Gilbert . Tu en dis quoi ?

Histoire de pourrir la vie de deux êtres innocents… Et surtout de s’assurer définitivement qu’Anselme avait retrouvé ses esprits. S’il approuvait : l’antidote était une vulgaire farce. Mais il se trouva qu’il ne lui prêta pas même la moindre petite once d’attention, signe que sa parole avait définitivement perdu toute aura divine. Plutôt que de s’en offusquer, la magie fut louée. Ô potion efficace, la fin d’une torture psychologique et le renouveau d’un ami sociopathe ♥
Se redressant afin de répondre à la question complètement, totalement, parfaitement idiote de son amoureux d’une demi heure, Jodie afficha une figure tout à fait sérieuse.

- Bien sûr que non ce n’était pas toi, commença-t-elle en secouant la tête. Tu ne te souviens pas qu’on a rencontré ton double diabolique au coin de la rue ? Ce type était effroyablement adorable. D'ailleurs un de ces jours je lui enverrai un hibou pour se prévoir un dîner tous les trois, ce sera sympa.
Encore quelques secondes à prétendre le sérieux, puis Jodie se leva pour lui tapoter la joue.
- Plus sérieusement, je te préfère en ronchon sain d’esprit.

Pendant un instant encore elle conserva le monopole physique d’Anselme en lui ébouriffant affectueusement les cheveux. Sans bien sûr s’être embarrassée de prendre en compte son avis ; à présent qu’il avait voulu convoler en nuit de noce elle se sentait au dessus de ça.

- Aller, je m’envole comme l’ange que je suis. Et dépêches-toi un peu également avant que la moitié du service se ramène pour vérifier la rumeur qui est certainement déjà lancée.

Un clin d’œil et elle lui tourna le dos pour repartir d’un pas sautillant. Voyant au passage les deux infirmières qui n’avaient pas pu s’empêcher de venir s’attarder devant la porte de la chambre, la rouquine ne pu quant à elle pas se retenir d'ajouter un dernier commentaire.

- A plus tard Anselmounet.

Pour autant qu’il ne s’attende pas à beaucoup de répit, d’ici quelques heures il aurait à s’expliquer concernant son intrigante début de confession concernant Clément. Plus vite elle saurait tout, mieux Anselme se porterait. Car un an pour préparer la prochaine Saint-Valentin ne serait pour lui pas de trop !



Spoiler: