Une feuille. Une feuille tremblante, comme emportée dans un tourbillon de vent. Mais statique. Terriblement enracinée au sol, voilà ce qu'était la jeune fille. Pauvre petite chose au milieu d'autres enfants visiblement plus à l'aise qu'elle, le sentiment de nausée qu'elle ressentait augmentait au fur et à mesure que les noms défilaient. Un à un, les petites têtes blondes - ou brunes - s'en allaient s'assoir sur une chaise aux allures de trône, poser sur leur crâne un choixpeau qui donnait l'impression de s'accaparer leur esprit pour un court moment. Sa voix grave, et la bouche qui se dessinait dans le tissu allait lui donner des cauchemars pendant plusieurs nuits, c'était sûr.

  «Orion ! Viens viens, il neige, il neige ! » Une petite forme noire se découpa à vive allure dans le paysage d'un blanc immaculé. Elle courait à s'en brûler les poumons de l'air glacé, et, à peine quelques secondes plus tard, la petite fille atterrit dans la neige à force de filer comme une dératée. Le visage entièrement plongé dans la poudre nacrée, ses épaules furent rapidement agitées d'un rire énergique avant qu'elle ne se redresse à moitié pour laisser sa joie s'exprimer, elle et ses cheveux d’ébène parsemé de blanc, petit animal sauvage qui semblait tout droit sorti d’un conte. Echo ne sentait pas le froid, pas la glace, et bientôt elle se remit sur ses pattes pour courir de plus belle, la langue tendue, avide de flocons tombant directement d’un ciel au blanc aveuglant. Ses yeux se fermèrent, et son souffle ralentit, épuisé, tandis que ses pas s'arrêtèrent finalement au bord de la falaise face à un océan déchainé. Les joues rouges et les yeux écarquillés, la jeune fille observa fascinée ce spectacle comme tous les hivers, allongé sur le sol enneigé, médusée par l’eau qu’elle avait toujours craint et respecté. Le temps s’arrêta juste pour elle lorsque ses yeux de saphir parcoururent les rochers, perdus au large de la côte, recouvert de neige et résistant sans cesse aux assauts des vagues. Une main se posa sur sa petite tête, la faisant sursauter. « J'espère que tu sais qu'il neige la moitié de l'année ici, hein Echo ? » Le rire de son frère entraina le sien, mais aussi la rappela quelque peu à la réalité. La neige qui commençait à fondre le long de son échine fit frissonner la fillette, et ses mains, bien que protégées par d'épaisses moufles, commençaient à être engourdies par le froid. « Oui mais.. C'est joli. » L'océan semblait noir à cette période de l'année, et seuls les rocs recouverts de leur épais manteau blanc paraissaient capables contenir cette mélasse en mouvement permanent d'atteindre le manoir familial. Pour Echo, tout cela avait une sorte d'étrange symbolique qu'elle n'arrivait pas vraiment à comprendre, une signification qu’au fond, elle essayait de percer tous les hivers. « Aller, à la maison le glaçon ! »
Et une paire de bras lui serra la taille, soulevant le petit être qu'elle était afin de la ramener devant une cheminée avant qu'elle n'attrape la grippe comme l'hiver précédent.

Et enfin, elle. Greysnow. C'était bien son nom, n'est-ce pas ? Jamais elle n'avait souhaité si fort être quelqu'un d'autre. Hésitant au début à faire le moindre pas, ce fut le regard sévère du professeur McGonagall qui la fit avancer au pas de course. De son air paniqué, elle chercha Orion à la table des lions. Personne. Les têtes toutes plus inconnues les unes que les autres défilaient sous ses pupilles perdues sans qu'elle ne discerne son frère, unique point de repère au milieu de tous ces chandeliers flottants. Le choixpeau lui fut posé sur la tête sans plus de cérémonie, et elle trembla de manière parfaitement visible aux yeux des autres, qui sourirent. « Echo, Echo.. Que fais-tu ici ? » Ses yeux se levèrent vers les bords du choixpeau, déconcertée, et incapable de souffler le moindre mot. Après tout, elle aussi se posait la même question.

« Mes motivations ? L'envie de découvrir, la passion que j'ai dans ce domaine, et un sadisme évident qui me permet de passer des nuits entières à chercher des écrits oubliés. » Elégante, sûre d'elle. Le sourire qu'elle esquissa après cette petite auto-dérision cassait même l'apparence un peu trop classique sous laquelle elle paraissait. Face au bureau du conservateur, la jeune Greysnow se montrait sous son meilleur jour - et sa fausse personnalité. « Mes excellents résultats aux BUSE et ASPIC ainsi que mon parcours sans faute dans mes études de métamorphose et sortilèges anciens peuvent certes simplement accuser là une personne cantonnée à la théorie, mais vous verrez ici mes nombreuses collaborations avec le Ministère – notamment au sein du département des accidents et catastrophes magiques – qui témoignent ainsi d'une certaine expérience et aisance avec le travail "de terrain". » Si tout son petit discours avait été préparé avec soin et minutie une semaine plus tôt, Echo n'avait pas eu de mal à paraitre la plus naturelle possible. Faire semblant que tout était le mieux dans le meilleur des mondes était, après la métamorphose, l'une de ses plus grandes spécialités. Les mains sagement posées sur ses genoux, cachées de Mr. Kanzler, la sorcière triturait fébrilement ses lourdes bagues d'améthystes d'opale et de jade, comme pour exorciser un éventuel refus de son poste. Raide. De trouille, raide de toute la répugnance qu’elle avait à faire le beau parleur. Une bague faillit tomber de son doigt mais elle la retint de justesse. Il était ridicule pour elle d’exposer à quel point ce domaine magique était sa passion tant cela lui semblait intrinsèque et pourtant là voilà, devant cet homme tiré à quatre épingles. Bien que son petit texte bien récité avait l'air de convaincre Wallace, Echo souhaitait seulement s'enfuir au plus vite de ce bureau bien trop étouffant, quitter le Londres sinistre dans lequel elle sentait s'enfoncer pour rejoindre la quiétude de son Ecosse natale.

 
« Tu as du talent, et beaucoup de réflexion pourtant.. C'est fort dommage pour toi de vouloir rester en dehors du reste. » A ces mots, le visage familier de son frère se démarqua des autres, évitant à la jeune fille de se mordre les joues jusqu'au sang en entendant les étranges paroles du choixpeau.
 

Idiot, crétin, stupide frère qu’elle haïssait avec le sourire. Le parchemin qu’elle tenait dans ses mains ne formait plus qu’une boule compacte tant ses poings se serraient à la vue de celui qui partageait – malgré elle – le même sang que la sorcière. Aucun mot, aucun son n’osait sortir de ses lèvres qui s’écartaient de plus en plus jusqu’à former un petit rictus de satisfaction. Si un frisson de terreur lui parcourait la moindre parcelle de peau, c’était avant tout cette étrange expression qu’Echo avait sur le visage que sa mère retiendra pour toujours avec effroi. Elle, elle fit tomber son tricot à terre, atterrée devant la vision de ses deux enfants. L’une était fière, accomplie dans les arts magiques qui étaient devenus sa prédilection. Chercheuse au sein du au combien renommé musée d’histoire de la magie, oui, Echo était la petite fierté de la famille. La table avait été dressée et les oncles et tantes avaient été invités, certain venant même de la racine pure russe, pour fêter son admission en tant que professeur à Poudlard, oui, tous pour une fois répétaient son nom dans chacune des conversations. Et puis il y avait son fils. Orion, auror, tout pour lui. L’ambition d’un monde meilleur, le talent d’un Greysnow, et l’envie tenace de ne pas vouloir regarder le monde tomber en ruines devant ses propres yeux. Bien que la haine qui se soit tissée entre la fratrie était une douleur pour leur génitrice, son désespoir s’agrandit lorsqu’elle vit que l’un des deux n'avait plus les pieds sur terre. Non pas de par leur idéologie – passivité ou action – mais littéralement.
 
La corde grinçait dans la petite pièce ou mère et fille fixaient en silence au-dessus d’elle. Là ou Echo voyait une menace de moins pour se faire persécuter, sa mère voyait un enterrement. De l’étage d’en dessous, des voix les appelèrent tous les trois. « C’est l’heure de dîner. » Glissant ses orbes turquoises du cadavre à la vieille femme, la sorcière observa un instant l'océan déchainé que l'on pouvait admirer depuis la fenêtre de la chambre d'Orion. Mars avait débuté, la neige laissait place à de fines couches de glace mêlées à la roche, donnant l'impression que les rocs fièrement plantés dans l'eau étaient recouverts d'une épaisse neige grise. Ce n'était ni beau ni étrange à voir. Tout comme son frère, pendu à une simple poutre.
Echo descendit.

 
 « Puisse le savoir t’apporter la sagesse et la raison dont tu as besoin jeune fille. Serdaigle ! » Et le choixpeau passa d'une tête à une autre sous une salve d'applaudissements.