Rentrer à leur colocation de Pré-au-Lard ne fut pas une mince affaire pour la jeune femme, mais ce n'était pas l'ivresse qui rendait son retour pénible. Plusieurs fois même elle remercia l'alcool qui coulait dans ses veines d'avoir ce pouvoir édifiant d'atténuer sa peine, sa rancoeur et sa colère. Elle se sentait tellement anesthésiée par tout ce qu'elle avait ingurgité qu'elle semblait ne même plus se soucier de rien. Ni les quelques inconnus scabreux qui l'abordèrent, ni les cinq ou six fois où elle manqua de se prendre les pieds dans les pavés, pas plus que les larmes qui coulaient à ne plus s'arrêter sur ses joues ne l'effrayaient. Le coup de massue donné par Gaya et Galaad avait éteint son bon sens. A quoi bon jouer les fortes têtes ? Elle avait été dupée comme la première des débutantes.

Reconnaître les quelques lampadaires de son nouveau quartier ne réconforta pas réellement Sybella, qui dut s'y reprendre à deux fois avant de trouver la clé de l'appartement pour ouvrir ensuite la porte – non sans avoir la sensation que la serrure s'était drôlement complexifiée durant la nuit -. L'impression d'être plongée dans un cauchemar dont on ne pouvait pas sortir était réelle. Elle aurait pu se pincer pour s'échapper de ce mauvais rêve mais toutes les ruses du monde se seraient soldées par un échec : Sybella venait bel et bien de passer la pire soirée de sa vie en dix-sept ans d'existence. Plus humiliant que la fois où elle avait tâché sa robe avec du ketchup ou lors de cette boum stupide de pré-adolescents où un garçon lui avait dit non, le souvenir de cette fête-ci serait particulièrement ardu à effacer de sa mémoire.

A peine adossée à la porte de l'appartement, sa vue se brouilla et mécaniquement elle ravala sa salive en même temps que la boule acide qui nouait sa trachée. Le silence qui régnait n'avait rien d'apaisant : au contraire, il ne faisait que la pousser à l'auto-confrontation. Elle ferma les paupières, inspira profondément. Pleurer comme une enfant ne changerait rien, pourtant elle était prête à éclater et en avait plus qu'assez de se retenir, d'être toujours sur le qui-vive et le contrôle. Pourquoi est-ce qu'elle aussi, elle n'aurait pas eu le droit à un instant de faiblesse ? Pourquoi même ici, même seule dans la pénombre de la colocation où Seamus et Dean dormaient, à mille lieues de se soucier d'elle, n'arrivait-elle pas à lâcher prise ?

Prise d'une brutale envie de vomir, la jeune fille abandonna pochette et talons à même le sol de la pièce de vie et courut presque jusqu'à la salle de bains pour se pencher sur la cuvette des toilettes. Rien ne vint pourtant : un gargouillis mal abouti lui écorcha l'estomac et la gorge alors qu'elle cracha finalement un peu de bile. Son ventre se tordant douloureusement, Sybella abandonna l'idée que se forcer à vomir ne résoudrait rien et les yeux brûlants, elle se dirigea maladroitement vers le lavabo pour asperger ses joues d'une eau diaboliquement glacée.

Lorsque ses iris croisèrent ses jumelles au travers du miroir suspendu au mur, l'irlandaise faillit pousser un soupir de mépris envers elle-même. « C'est pas vrai … C'est pas vrai bon sang ... » souffla t-elle du bout des lèvres, partagée entre l'impossibilité de se reconnaître et l'envie de se rire au nez. Elle faisait réellement peine à voir, l'ex-Serpentarde autrefois bien installée sur ses hauts perchoirs. Le mascara et le khôl avaient abondamment coulé de ses yeux pour les souligner d'un noir honteux et baveux, ses joues pâles barrées par les mèches blondes en bataille de sa chevelure qu'elle avait pourtant disciplinée quelques heures plus tôt. Son apparence ne mentait pas : elle était dans un état chaotique. Sybella renifla, tentant d'y mettre du dédain, ou au moins quelques notes d'une rebuffade. En vain, la jeune fille passa une main sur son visage pour frotter les traces de maquillage et manqua de faire une crise cardiaque parfaitement injustifiée en entendant le grincement d'une latte de parquet.

« … Y a quelqu'un ? » Question rhétorique plutôt idiote quand on savait qu'elle avait une chance sur trois de voir apparaître de nulle part un de ses colocataires. Et le miroir lui renvoya l'identité de l'espion nocturne avec un temps de retard ; la porte dévoilant le visage d'un Dean passablement mal réveillé mais présent. C'était déjà trop pour Sybella qui n'avait pas envie de se battre davantage ce soir. D'une voix étrangement atone elle anticipa toute réaction de la part de l'ex-Gryffondor, les yeux perdus dans le vide. « C'est bon ça va. J'ai juste la gueule de bois. Tu peux retourner te coucher Dean. » On avait connu plus rassurant et surtout plus convaincant mais il n'était néanmoins pas coutumier de la part de la jeune fille d'agir de cette manière avec son ex. Mis à part cette volonté tout à fait inflexible de ne pas céder un pouce de proximité à l'ex-rouge et or, Sybella n'était plus tout à fait l'habituelle petite peste de septième année.

Machinalement, son regard s'était d'ailleurs détourné de lui, tout son visage cherchant à fuir son attention pour ne pas lui laisser une seule chance de remarquer que non, ça n'allait pas. Elle ne voulait pas de sa pitié ni de ses remarques moqueuses. Les miettes de sa fierté le lui interdisaient.

Qu'on se le dise, s'occuper des hiboux avec son meilleur ami, c'est plus vendeur sur le papier que dans la vraie vie. Bien sûr, c'est super amusant de courir derrière les hiboux, de voir Seamus se faire mordre et tout, mais c'est surtout très fatiguant. Depuis qu'ils ont commencé leur nouveau de job, les deux garçons n'ont plus une minute à eux, ou plutôt n'ont plus une goutte d'énergie à revendre lorsqu'ils ont du temps pour eux.

Si bien que la majorité de leurs soirées terminent devant la playstation, avec une énorme pizza quatre fromages. D'ailleurs, le jeune anglais pense avoir pris un peu de poids depuis la rentrée, il va falloir remettre le jogging matinal à l'ordre du jour.
Ce soir-là, Seamus et Dean, avaient l'appartement pour eux tout seul, puisque Sybella était sortie boire un verre avec ses anciens potes. Au début ils avaient prévu d'inviter Justin et Hannah pour boire un verre, mais ils étaient tous les deux trop fatigués pour organiser la moindre petite soirée. Ainsi, vers minuit, dans le petit appartement de Pré-au-Lard, toutes les lumières s'étaient éteintes.

Avant de dormir, comme un véritable rituel, Dean dessina un petit peu. Ses dessins étaient objectivement meilleurs de jours en jours, ainsi le hibou qu'ils avaient dessiné semblait plus vrai que nature. Dean prenait réellement goût à cette nouvelle vie, même si cela voulait dire vivre avec Sybella. Parfois il se demandait, combien de temps cela durerait et ce qu'il se passerait par la suite, parce qu'il se doutait bien, qu'ils ne vivraient pas éternellement ici tous les trois. Il se demandait aussi, s'il trouverait un stage en tant que professeur et si Seamus, Justin, Hannah ou même Sybella, trouveraient un boulot, un boulot qu'ils aimeraient et s'ils réussiraient leurs vies. En fait, il ne se faisait pas trop de soucis, il était sûr que tout irait bien parce qu'ils seraient là, les uns pour les autres.

En attendant il se coucha, après avoir réglé son réveil à l'aube. Il le réglait tous les soirs à la même heure, en sachant pertinemment qu'il devrait lever son partenaire et meilleur ami qui n'entendrait - comme d'habitude - pas le sien, parce que si l'un avait un sommeil plus que profond, ce n'était définitivement pas le cas de Dean.

D'ailleurs cette nuit là, alors qu'il dansait paisiblement au pays des rêves, des bruit, provenant de l'appartement le sortirent de son lit. Il se demandait bien, pourquoi Seamus faisait autant de bruit. Mais quand il entra dans le salon, il lut l'heure plus que tardive que ce a quoi il s'attendait, et devina assez rapidement qu'il ne s'agissait pas de Seamus mais plutôt de Sybella.

Vivre avec Sybella, n'était pas forcément la chose la plus facile, pour n'importe quel humain sur terre, mais encore moins pour Dean Thomas. Si bien qu'il décida de retourner dans sa chambre afin d'éviter une engueulade nocturne. Du moins c'est ce qu'il allait faire, mais il se demanda soudain pourquoi la jeune fille traînait aux toilettes et pourquoi elle n'allait pas se coucher. Pour lui c'était évident, Sybella était malade et dans ce domaine il avait assez d'expérience pour savoir que personne ne mérite de mourir -façon de parler- seul.

Il s'approcha de la salle de bain et ce qu'il y découvrit n'était pas beau à voir. Il ressentit comme un pincement au cœur en voyant la jeune fille d'habitude si sûre d'elle et forte, les yeux rouges et gonflés et le maquillage coulant. Une chose était sûre : Sybella avait pleuré, peu importe ce qu'elle pouvait dire. Elle lui demanda de partir, mais Dean avait bien trop de principes pour partir se coucher sans rien dire.

"Tu n'as pas besoin de te cacher, tu es chez toi."

Il ne savait pas trop quoi dire, cela faisait tellement longtemps qu'ils n'avaient pas vraiment discuté tous les deux. Dean avait beau dire à tout le monde qu'il détestait profondément Sybella, au fond de lui, il tenait tout de même à elle. S'il devait lui arriver quelque chose, il serait réellement triste. Presque autant que pour n'importe lequel des quatre fantastiques.

Le jeune homme attrapa un pull à lui qui traînait sur le porte-manteau de la salle de bain et le tendit à l'Irlandaise.

"Tu devrais prendre une douche et mettre ça, tu seras mieux après. Je vais faire du thé."

Ce n'était pas réellement un ordre mais c'était sûrement la meilleure chose à dire et à faire. En plus, ils ne risquaient pas de réveiller Seamus, qui devait sûrement rêver de whisky et de Quidditch.

Dean Thomas, pas si assoupi qu'il aurait pu l'être à cette heure avancée de la nuit, la considérait d'un œil bien trop pour ne pas être troublant. Pas de moquerie, pas d'attaque personnelle : il marquait même des points au final. Agissant comme si elle était constamment sur la défensive, en situation désavantageuse, acculée, sur le qui-vive, Sybella en oubliait qu'elle ne pouvait plus véritablement se comporter comme la solitaire qu'elle n'avait jamais réellement été – et encore moins en présence d'un de ses deux récents colocataires -.

« Je me cache pas ... » répliqua t-elle faiblement pour la forme. Fallait-il avoir un sixième sens pour comprendre que cette réponse impliquait une acceptation de sa part ? Seul Merlin pouvait le dire à Dean. Toujours était-il que Sybella avait choisi de se détourner du lavabo pour regarder son colocataire durant une poignée de secondes, silencieuse. Et à peine eut-il décrété qu'il leur servirait une boisson chaude que Sybella se redressa lourdement pour aller en direction de la porte et la refermer au nez du rouge et or. A vrai dire en cet instant précis, l'irlandaise n'aurait pas même craché sur le plus immonde des jus de chaussettes. Mais ivre morte et déprimée, elle n'allait tout de même pas pour autant abandonner le sens des civilités et de la pudeur qu'on lui connaissait et prendre une douche sous le nez de l'ex-rouge et or. Et puis d'après Celui-qui-savait, Thomas n'aimait pas tant que ça les jeux d'eau … A cette pensée pourtant parfaitement sybellesque, la jeune fille n'eut même pas l'ombre d'un sourire et se contenta de se débarrasser sans ménagement de sa robe et de ses sous-vêtements pour se glisser dans la douche et enclencher une eau brûlante.

L'humidité ambiante qui l'inonda aurait pu l'aider à réfléchir ou au moins à l'apaiser, mais Sybella n'éprouvait qu'un soulagement physique notoire à se débarrasser de l'odeur persistante de vodka-citrouille, de l'acidité malodorante du vomi de Gaya qui l'avait éclaboussé et de la moiteur due à la soirée. Dans sa tête, tout était parfaitement intact : la peine, vivace, lui donnait envie de se démanger les yeux jusqu'à ne plus pouvoir en faire usage. Les fermer n'y changeait rien ; son imaginaire prenait le relais de ses pensées noircies pour lui dessiner avec une myriade de détails troublants et malsains les insupportables minutes d'humiliation vécues au Deus. Ce fut lorsqu'elle réalisa que ses phalanges étaient rougies par la haute température du mitigeur magique que Sybella coupa court à sa douche et enveloppa ses cheveux puis son corps dans deux épaisses serviettes molletonnées. Là encore ses muscles tous plus éreintés les uns que les autres, ne réclamant que sommeil réparateur, apprécièrent le confort : pour ce qui était de l'âme ça n'était toujours pas ça.

Le pull, bien que trop grand pour elle, l'enveloppa jusqu'aux cuisses comme une douce étreinte rassurante et familière. Ce n'était pas véritablement son style de se permettre ce genre de fantaisies, elle qui avait trop d'honneur pour se balader en sweat-shirt sans maquillage à une heure pareille, mais Dean avait raison. Elle était chez elle. Et elle était trop fatiguée, trop étouffée par les relents d'alcool encore frais pour en avoir réellement quelque chose à faire.

La blonde quitta sans bruit la salle de bain, traversa dans la pénombre le couloir tout aussi discrètement et échoua sur le fauteuil le plus proche, s'y pelotonnant sans un mot. Elle avait traversé le salon sans daigner se signaler. L'absence de toute parole, de la simple et futile nécessité de combler le vide par des mots lui convenait parfaitement, tout autant qu'il facilitait à l'un comme à l'autre l'effort de faire semblant de vouloir discuter. Cette nuit-là n'était pas habituelle : depuis qu'elle vivait avec Seamus et son meilleur ami, c'était la première fois que ce genre de fantaisies se produisait. Elle n'aurait sans doute d'ailleurs pas même imaginé qu'un jour pareille scène fut possible entre les deux anciens amoureux.

A n'en pas douter, l'ancien Gryffondor allait sursauter en se retournant. Il préparait le thé de sa manière religieuse et appliquée, typiquement empruntée à ce que l'on observait dans les rituels les plus récurrents et les plus essentiels. C'était son moyen à lui de désamorcer la bombe, alors même que Sybella n'attendait pas de lui qu'il s'apitoie sur son sort ou l'écoute simplement. Cela n'induisait pas forcément qu'elle déballerait en long, en large et en travers les horribles images qui affluaient dans son esprit. Persuadée qu'il aurait sans doute rétorqué que les Serpentards faisaient de piètres amis et qu'il ne fallait pas sortir du Ministère pour s'en douter, la jeune fille préférait pour l'heure tourner autour du pot et attendre, attendre que Dean ose lui demander pourquoi ces yeux gonflés, cette mine défaite et ce calme trop inquiétant, trop instable, tellement facile à détruire d'un simple faux-pas.

Quelques sifflements de bouilloire plus tard, une tasse fumante se retrouvait dans ses mains, et Sybella dégusta une profonde gorgée sans se soucier du picotement vif que la chaleur provoqua. « Il est pas si mauvais. » murmura t-elle du bout des lèvres. Loin d'être l'encensement de l'année, la phrase était pourtant sans doute ce qui s'approchait le plus d'un compliment pour Dean, qui pouvait de ce fait se féliciter d'avoir fait un thé plutôt agréable. « Pourquoi tu dors pas ? » l'interrogea t-elle sans réel détour, observant sans tout à fait voir la couverture du dernier exemplaire de la Gazette qui gisait sur la table basse.

La jeune fille n'avait pour une fois rien répondu et s'était simplement exécutée, ce qui pouvait laisser entrevoir à Dean le mal dans lequel elle se trouvait actuellement. D'aussi loin qu'il se souvienne, jamais il n'avait vu la Sybella pleurer ou même vulnérable. Et bien qu'il se doutait d'un dur retour à la réalité après Poudlard, il ne pensait pas que ce dernier serait si rapide.

Alors que la jeune irlandaise prenait une douche réconfortante, Dean passa dans sa chambre pour y récupérer rapidement un deuxième pull qui traînait par là. D'ailleurs en regardant sa chambre d'un peu plus près, il se disait qu'il était vraiment temps de faire un petit peu de rangement et aussi d'interdire Seamus de rentrer, pour conserver un minimum de calme. Cela dit, il n'était pas vraiment l'heure de ranger et puis de toute manière le reste de l'appartement ne se portait pas tellement mieux.

Une fois au chaud dans son pull, le jeune anglais prépara soigneusement et comme toujours le thé. Il avait choisi fruit de bois, parce que c'était non seulement son préféré, mais aussi le seul qui savait parfaitement infuser. L'anglais était tellement concentré qu'il n'avait même pas vu Sybella entrer dans le salon et encore moins s'installer dans le grand fauteuil, si bien que quand il l'aperçu, il sursauta légèrement.

Apportant les deux mugs encore brûlants sur la table basse, il prit place sur le fauteuil le plus près de la jeune fille. C'était vraiment bizarre pour lui, d'être si "proche" de Sybella, depuis leur "séparation" ils ne s'étaient presque jamais retrouvés tous les deux et encore moins de façon "amicale". Cela fait beaucoup de guillemets, mais ces deux petits signes pourtant futiles résumaient parfaitement leur relation. Depuis le début c'était ambigu entre eux et absolument pas simple. Mais avec le temps, ou plutôt à force de vivre avec elle, il avait fini par se faire à l'idée que les gens pouvaient changer. Quand il voyait la blonde ainsi vêtue dans ce fauteuil, il ne voyait plus le dragon infâme qu'elle pouvait-être, mais juste une jeune fille en détresse. Dean Thomas, le grand frère international, le gentleman et le bon samaritain ne pouvait définitivement pas ne rien faire.

Pourtant, il ne savait pas quoi dire face à Sybella et il semblait que ce sentiment soit partagé entre les deux colocataires de fortune. En effet la question, absolument pas pertinente de l'ancienne serpentard trahissait le malaise de toutes ces années.

"Je ne sais pas, parce que quelqu'un m'a réveillé."

Dean le disait sur un ton ironique, mais absolument pas comme un reproche. Il tentait juste de détendre l'atmosphère qui s'était installée, dans le petit salon de Pré-au-Lard. Ne sachant pas vraiment comment cette pointe d'humour allait être prise, il plongea sa tête dans sa tasse afin de trouver un peu de chaleur. Ce thé n'était pas juste "pas mauvais'', il était juste parfait, mais Dean décida de prendre le compliment comme il se présentait. Ne voyant pas de suite à la conversation, Dean préféra jouer cartes sur table, c'était pour lui la meilleure solution et sûrement la moins gênante.

"Ecoute Sybella, ça fait longtemps que l'on a pas fait ça... Genre juste parler. Du coup je comprendrais tout à fait que tu ne veuilles pas me raconter ta soirée ou même te confier à moi, mais je ne compte pas te laisser comme ça. Du coup si tu veux parler, même de la météo, vas-y."

L'anglais regarda d'un regard extrêmement sympathique la jeune fille. Il n'était peut-être pas l'épaule sur laquelle elle voulait pleurer, mais au moins il était là et faisait de son mieux. Cela dit, Dean espérait réellement ne pas voir s'ouvrir la deuxième porte du couloir et en voir sortir son ami, dieu sait ce qu'il pourrait s'imaginer...

Sybella mit un temps à l'admettre en son fort intérieur, mais il avait raison. Aussi stupide cela pouvait-il être, l'ancien Gryffondor avait soulevé un lièvre et il était de taille. Comment deux ex pouvaient cohabiter dans le même appartement et communiquer aussi peu, être ridiculement mal à l'aise quand il fallait faire autre chose que s'engueuler pour une histoire de linge sale qui traînait ou de ménage non fait ? Il était si facile de se cacher derrière la haine et les critiques acides, mais au final quand on avait réellement besoin simplement d'un cessez-le-feu, d'un court répit où chacun baissait les armes, les choses étaient diamétralement différentes et beaucoup plus compliquées à gérer. Sybella ne savait même pas quoi répondre. Elle soupira, quittant le reflet miroitant à la surface de sa tasse pour observer le jeune homme face à elle. « … Dean … » Elle avorta sa phrase, ses iris contemplant les phalanges rougies de sa main qui serrait un peu trop fort la tasse.

Elle n'avait pas la moindre idée de par où commencer. Quel mensonge servir à son ex ? Il lui était tout bonnement inimaginable de donner la vérité telle qu'elle était sur sa désastreuse nuit : parler de Gaya, Galaad, Lucas et leurs étranges manières de se prouver aux uns et aux autres à quel point ils étaient de lamentables amis n'aurait rien eu de bénéfique. Dean les méprisait – sauf peut-être Gaya, mais ce soir Sybella n'avait vraiment pas envie d'entendre qui que ce soit défendre la blonde – et n'allait ni prendre leur parti, ni compatir au sort de l'irlandaise. « Elle avait eu ce qu'elle méritait » semblait plus proche de la pensée à laquelle elle devait s'attendre. C'était la triste conclusion que son subconscient dessinait pour elle dans l'opinion de tout spectateur extérieur. A trop jouer avec les autres pour les manipuler comme des pions, on finit toujours par se retrouver renversé à un moment ou un autre. Sa main joua nerveusement avec l'anse de la tasse. « J'ai simplement un peu trop bu et je me suis vautrée. Voilà. Ce sont des choses qui arrivent, comme quand toi et Seamus vous avez décidé que descendre le litre de Wkisky-pur-Feu tout en jouant au foot moldu avec une Bombabouse serait une bonne idée. Ca n'a rien à voir avec la soirée en elle-même. Elle était bien cette soirée, elle était très bien. » Un premier pas avait été fait. Maladroit, certes, et pas tout à fait honnête. Rien que sa simple insistance pour lui assurer que tout allait bien n'était franchement pas convaincant.

Et puis elle en avait marre, au fond. Tout ça l'avait fatigué. Soudainement, au beau milieu du salon, c'était dans le calme de leur appartement que Sybella se prenait réellement la claque qu'on lui avait assénée une heure plus tôt. Elle était réellement tombée de son piédestal, et c'était Gaya et Galaad qui l'avaient éjectée. Son inconscient lui insuffla narquoisement qu'ils n'avaient pas réellement eu besoin de la pousser très fort : elle avait commis de remarquables impairs pour une jeune femme qui se prétendait sous contrôle total. S'envoyer en l'air avec n'importe qui parce qu'elle était ivre, est-ce que c'était tout ce qui resterait dans l'esprit des gens quand on parlerait d'elle ? L'angoisse vint s'ajouter au poids qui s'était abattu sur ses épaules, et une boule se noua dans sa gorge, une de celles qu'on a toutes les peines du monde à ravaler sans se trahir.

C'était d'ailleurs à ce moment précis que l'irlandaise comprit, sans pour autant pouvoir s'en empêcher, qu'elle allait justement se trahir. L'alcool qui souillait encore son sang et sa raison avait brouillé ses talents d'usurpatrice. Pire encore, elle effleura à peine la pensée que se confier à une personne comme Dean était un réel danger pour elle, et une manière certaine d'offrir le bâton pour se faire battre. La blonde haussa les épaules et eut un rire triste. « Et puis qu'est-ce que tu voudrais que je te dise de toute manière, mh ? Que je me suis affichée en public et que toute ma crédibilité vient d'être passée au rouleau-compresseur ? Que je me suis mise à hurler comme une hystéro devant tout le monde ? Que je viens de faire foirer une amitié de sept ans en une soirée pour une histoire de ... » Sa voix s'étrangla et elle toussa – pour de vrai, ou pour empêcher les larmes de remonter jusqu'à ses yeux -. Son visage se baissa comme pour fuir le regard de l'ex rouge et or et lorsqu'elle releva le menton d'un mouvement sec, elle avait réussi à se recomposer un visage moins déplorable. « … Oublie ça s'il te plaît.» murmura t-elle du bout des lèvres.

Sa main gauche vint passer ses doigts dans ses cheveux humides et n'y tenant plus, elle lâcha ce qu'elle avait sur le cœur. « A quoi ça rime ? Tout ça. » Du regard elle désigna la pièce, la balayant avec une perplexité évidente. « Je comprends pas. » avoua la danseuse, partagée entre le malaise, la curiosité et la peine – un cocktail pour le moins détonnant et imprévisible -. « T'aurais pu faire semblant de pas m'entendre, t'aurais pu rester dans ta chambre. » Mais tu l'as pas fait. La jeune fille n'avait pas vraiment l'impression de lui reprocher sa bonté, mais pour le coup celle-ci la troublait. Ce n'était pas une attitude à laquelle elle s'était préparée. Elle eut un petit hoquet et renifla avant de se réfugier dans son thé, à court d'arguments.

Il ne croyait pas un mot de ce qu'elle disait, mais il n'était ni son père ni son frère et pas vraiment son ami. Par conséquent la jeune fille n'avait aucune raison de pleurer sur son épaule. Cependant, il ressentait une sorte de pincement au cœur et un sentiment de culpabilité en la voyant ainsi et il le savait pertinemment, le simple fait qu'il puisse ressentir cela lui confirma une chose:

Il n'avait jamais détesté Sybella Tyrel.

C'était dur de l'admettre, mais finalement ces dernières années n'avaient seulement été qu'une petite bataille d'ego dans les règles de l'art, histoire de garder la forme. Dean ne savait pas si ce sentiment était partagé par la jeune irlandaise mais malgré leurs engueulades, leurs désaccords et leurs vacheries, il tenait manifestement tout de même à elle. Soudain, alors que l'anglais pensait voir la fin de cette conversation, la jeune blonde fit l'impensable en vidant son sac. C'était rapide, flou et pas très ordonné mais l'ancien Gryffondor saisit chaque phrase, chaque mot et chaque intonation. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que Sybella s'était disputée avec ses amis, plus précisément Gaya. Le londonien savait comme toutes les personnes ayant fréquenté Poudlard en même temps que les deux jeunes filles, qu'elles étaient meilleures amies.

Et peut importe la relation qu'elles pouvaient entretenir, les coups bas ou mensonges, elles avaient toujours été ensemble et Dean ne pouvait s'empêcher de se demander comment il réagirait s'il devait lui aussi mettre fin à son amitié avec Seamus. Une idée qu'il chassa rapidement de son esprit, car il avait bien l'intention que jamais cela n'arrive. Cependant, il imaginait très bien ce que pouvait ressentir Sybella et il une chose était sûre, un thé ne suffirait pas.

Puis la jeune fille fit un pas en arrière. Elle voulait qu'il oublie, qu'il fasse comme si de rien n'était, mais Thomas était bien trop altruiste pour faire semblant de ne rien avoir entendu et encore moins retourner se coucher. S'il le fallait il passerait une nuit blanche dans le petit salon de Pré-au-lard en compagnie de son ex-petite-amie-tyrannique.

"Syboulette... Enfin... Je peux pas oublier, maintenant si tu ne veux pas en parler, je n'insiste pas."

Les habitudes sont tenaces et ne sont pas prêtes de s'en aller, mais au final un surnom même pas très sympathique c'est un peu une forme d'affection ? Cela dit, il faudrait que l'anglais dose un peu plus ses mots, s'il ne veut pas paraître désagréable et lancer une nouvelle bataille sans queue ni tête.

L'avantage c'était que Dean ne comprenait pas plus que Sybella pourquoi il était là, pourquoi il buvait un thé nocturne en compagnie de sa présumée ennemie et encore moins pourquoi il ne voulait pas partir.

"Je ne sais pas, peut être que je suis juste un idiot."

L'anglais était doux dans sa façon de répondre, d'une douceur presque légendaire dont il n'avait rarement -jamais- fait preuve avec la jeune fille -sauf peut-être quand ils étaient plus que proche et encore-. Quand le soleil se lèverait, quand Seamus passerait cette porte, ils reprendraient sûrement leurs petites habitudes, leurs petites chamailleries matinales et leurs petits pics régulier, mais pour le moment l'heure était à la paix.

"T'façon avec le thé que je viens de boire, je ne vais pas pouvoir me rendormir."

L'anglais se leva et se dirigea doucement vers la vieille platine qu'il avait récupérée dans le grenier de ses grands-parents, laissant ainsi le grand Otis Redding détendre un peu l'atmosphère. Après tout, la musique adoucit les mœurs.

« Je crois que j’en ai assez dit en fait. » conclut un peu honteusement la blonde en buvant quelques gorgées supplémentaires de thé. Le simple bonheur de sentir une vague de chaleur la traverser l’apaisa un peu plus. Certes elle venait de déballer une partie de la soirée la plus humiliante de sa scolarité à Dean, mais elle n’en ressentait pas une peur si profonde que cela. A l’heure où elle se rendait compte avoir placé sa confiance dans les mauvaises personnes, le Gryffondor trouvait plus de grâce à ses yeux que les autres. Une telle pensée aurait du la rendre méfiante. Elle aurait du se braquer comme un animal effarouché devant trop de gentillesse. Pourtant Sybella n’avait plus la force de jouer les paranoïaques. Pas ce soir, demain sans doute demanderait-elle discrètement à l’ancien rouge et or de se la fermer sur ce qui s’était passé cette nuit – sous peine de cafter un grossier mensonge ou de se venger d’une abjecte manière -. Elle aurait tout le temps et tout l’esprit pour élaborer des menaces suffisamment convaincantes pour qu’il ne répète pas à Seamus ou à qui que ce soit qu’elle avait craqué sous ses yeux. Là, elle avait simplement envie de parler sans réfléchir.

Quand il répondit, la jeune irlandaise fut secouée d’un rire timide, sa tête dodelinant légèrement sur la gauche alors qu’elle considérait le jeune homme en face d’elle avec un sourire amusé, presque sincère. « Haha … Oui, peut-être qu’on est tous les deux des imbéciles. » Ce n’était pas tout à fait la même Sybella, ce n’était pas celle qui attaquait pour le plaisir de vous enfoncer plus bas que terre. Elle n’était pas gentille, elle n’était pas radoucie, non. Elle était simplement moins odieuse. Et ça suffisait peut-être à ce que tout prenne une autre dimension. « En tout cas … merci, je suppose. » murmura la demoiselle, décontenancée par ses propres mots tandis qu’elle levait le mug dans la direction de Dean pour le vider complètement.

Pour changer de sujet et pour ne pas risque de s’embourber plus encore dans la gêne de l’instant, l’ex-Gryffon se plaignit de ne pas pouvoir fermer l’œil de la nuit et quitta son fauteuil. Le regard presque serein de la blondinette le suivit pendant une poignée de secondes avant qu’elle ne déclare d’un ton ironique. « Tu me blâmeras de ton insomnie demain, Thomas … Parlant de thé, il en reste encore ? » La jeune fille finit par se relever d’elle-même – pas assez doucement cependant pour ne pas éprouver un léger vertige du à l’alcool -, ses pieds nus parcourant la distance qui la séparait de la cuisinière où la théière résidait, laissant échapper un léger fumet floral. Sa main gauche attrapa maladroitement celle-ci et versa un peu de thé dans son mug vide, ses yeux qu’elle sentait gonflés perdus dans le vide.

La minute d’après, elle tournait le dos au comptoir et se tenait debout dans la cuisine, les mains resserrées sur sa grande tasse. Ses oreilles avaient capté et reconnu la mélodie du chanteur de jazz moldu, un dénommé Redding. La musique lui était vaguement familière, et pour cause, elle en savait plus qu’elle ne l’admettait réellement sur le monde des non-sorciers. A son insu ses commissures avaient frémi, formant l’esquisse d’un sourire. « Ha. Je suis pas d’humeur pour un slow, Dean, pousse pas trop. » Une plaisanterie de la part de Sybella Tyrel ? Apparemment oui. « Même quand on était ensemble, on dansait pas comme les vrais couples. » se permit de rappeler la Serpentarde. Il ne manquait plus qu’elle se la joue nostalgique et on aurait pu dire que le monde marchait à l’envers, ou avait été détraqué. En réalité elle avait parlé sans se poser de questions, pas vraiment sûre de savoir si elle avait voulu provoquer Dean inconsciemment ou si le souvenir lui avait sauté au visage sans qu’elle ne cherche à le refouler.

Ce qui était en train de se passer dans le petit salon relevait réellement du surnaturel, parce que accrochez vous bien, Sybella Tyrel, faisait preuve de gentillesse. Oui, de la gentillesse. Comme quand vous aidez un grand-père à traverser la route ou quand vous portez les courses d’une femme enceinte. Cette chose que l’humanité pensait presque impossible de la part de l’irlandaise, ce petit mot magique, elle l’avait dit. Un simple merci, honnête et doux, rien de plus, rien de moins. Dean ne releva bien évidemment pas, il ne fallait pas abuser des bonnes choses, mais il se jura de s’en souvenir pendant très, très longtemps.

Après avoir mis de la musique sur la vieille platine, Dean alla rejoindre Sybella dans la cuisine à la recherche de son plus grand amour, le Nutella. Tandis qu’il ouvrait le petit placard, il s’arrêta devant la deuxième grande surprise de la soirée. Sybella avait de l’humour. Pendant un cours moment, il croyait rêver. Tout cela ne pouvait pas être réel, la blonde qui connaissait n’était ni-gentille, ni-drôle. Peut être qu’il avait encore beaucoup de choses à apprendre sur elle, peut être que finalement les gens peuvent changer en mieux et peut être qu’elle avait simplement encore trop d’alcool dans le sang.

“Oh non ça ne risque pas, je tiens encore à mes orteils.”

Le temps passait, les choses s'amélioraient, mais les blagues restaient. Le garçon avait dit cela, presque sur un ton de défi, puis finit par attraper son pot de nutella ainsi que deux petites cuillères. L'anglais ne pourrait dire combien de pots il était capable d'avaler en une semaine, mais une chose était sûre : beaucoup trop pour avoir une alimentation saine et équilibré. De toute manière pour la bonne bouffe, il avait laissé tomber. Il était évident que laisser Sybella et Seamus cuisiner était une mauvaise idée. Parfois, il jalousait réellement Justin qui avait la chance de vivre avec la meilleure cuisinière de tout le Royaume-Uni. Heureusement pour Thomas, le Nutella l'aidait à tenir mentalement à cette épreuve, pire que tous les Koh-Lanta du monde. Il prit place sur un des meubles de cuisine et ouvrit délicatement le pot, comme s'il s'agissait du saint Graal et tendit la deuxième cuillère vers Sybella.

"Je sais que ce n'est pas bon pour tes hanches, mais on n'a qu'une vie."

Si elle n’en voulait pas, tant pis ça l’arrangeait très bien. On ne sait jamais si la fin du monde devait arriver demain, il serait bien content d’en avoir encore un peu. Mais étrangement, cela lui faisait réellement plaisir de le partager avec la jeune fille. La hache de guerre était, du moins pour cette nuit, belle et bien enterrée. Sur les vitres de la fenêtre de la cuisine on pouvait voir un début de gel, pourtant il faisait réellement bon dans le petit appartement. A tel point qu’on pourrait encore se croire au mois de Septembre. Malheureusement, grâce à son magnifique job qui consistait à travailler dans le froid, Dean savait très bien que Septembre était désormais très loin. Son boulot n’était définitivement pas le plus amusant, mais au moins on lui fichait la paix et on ne lui donnait pas vraiment d’ordre, du moment que les hiboux restaient en vie et pouvaient assurer leurs livraisons. Bien sûr, le londonien ne comptait pas en faire carrière, mais c’était un job comme un autre.

“Sinon Sybella, ça se passe comment le travail ?”

Aux dernières nouvelles Sybella voulait devenir journaliste et travaillait dans le Sorcière Hebdo, un magazine de seconde zone qui ne devait pas vraiment correspondre aux rêves de la jeune fille. Pour la première fois, il se souvint qu’il connaissait très bien un journaliste de La Gazette qui pourrait sûrement faire rentrer quelqu’un de véritablement investi, surtout si c’était Dean qui lui demandait.

“Je viens de me souvenir d’Hippolyte Nemours, tu vois qui c’est ?”

Si Sybella avait changé, il fallait avouer que Dean aussi, parce que aussi surprenant que cela puisse paraître, il venait effectivement de proposer son aide à son ex-petite-amie-tyrannique. Peut être qu’ils allaient redevenir proche… non faut pas exagérer ce n’est absolument et catégoriquement pas possible.

La jeune fille esquissa un bref sourire amusé et haussa les épaules avant de boire une gorgée de sa nouvelle tasse de thé. Son regard suivit Dean qui paraissait chercher un objet très précis, et la trouvaille que dénicha l’ex-rouge et or ne la surprit guère ; une fois de plus l’anglais dégaina sa spécialité sucrée, une pâte à tartiner aussi bourrée de gras que de chocolat, délicieusement gourmande et régressive. C’était un peu le cliché pur de ce qu’on pouvait faire de plus réconfortant dans une situation pareille : se gaver de bonnes choses et parler de tout et de rien pour panser ses plaies.

Sans relever sa remarque – qui en disait long sur le niveau de connaissance du jeune homme à son sujet -, Sybella prit la cuillère tendue et le laissa se servir avant de taper dans le pot d’une petite cuillérée timide. Le goût était bon, et Thomas n’avait pas menti : le Nutella représentait une menace sévère pour le bien-être de ses hanches.

« Le travail ? » Elle poussa un soupir dédaigneux, et repiocha rageusement un peu de pâte chocolatée. « Si on appelle rédiger l’horoscope de la semaine et se taper le courrier du cœur sans avoir rien que son nom cité en bas de page en tout petit du travail … Oui, ça se passe à merveille. » ironisa le plus subtilement du monde la blonde en enfournant la cuillère dans sa bouche. Tandis qu’elle laissait fondre sous son palet la douce saveur de la noisette et que le sucre s’insinuait dans sa bouche, ses pensées dérivèrent. Elle aurait tellement voulu prendre sa revanche sur ces crétins de Sorcière-Hebdo. Ca faisait tout juste quelques semaines qu’elle travaillait à leur service, passait le plus clair de son temps à faire des heures supplémentaires sans trop rechigner, faisait office de secrétaire et de répondeur humain, le tout sans que jamais aucun des articles qu’elle ait pu rédiger ne passa dans le magazine. Le rédacteur semblait bloquer toute tentative de sa part – si tant est que la supérieure de sa supérieure de sa supérieure ait suggéré ses écrits … -.

Clairement, Sybella était passée, depuis son intégration au sein de la rédaction, du premier rang à la base de la chaîne alimentaire, ou plutôt hiérarchique. Et dans un milieu pour le moins impitoyable comme le journalisme, on n’avait aucune pitié avec la chair fraîche dans son genre, aussi mignonne soit-elle. Son physique lui épargnait certaines incivilités mais lui en imputaient d’autres – comme la drague lourde des collègues, par exemple -.

Ses oreilles captèrent alors au beau milieu du marasme de ses songes le nom d’Hippolyte Nemours. Comme un phare dans la nuit la plus noire, toute son attention se dirigea alors brusquement vers Dean et la jeune irlandaise faillit en renverser sa cuillère. Elle plissa les yeux, semblant jauger la situation comme un piège très mal déguisé, avant de répondre avec lenteur. « Oui. Oui je connais Hippolyte Nemours. De nom bien sûr. Pourquoi ça ? »

Le monde du journalisme n'était pas bien grand et encore moins chez les sorciers. Il était donc évident qu'une débutante inspirant à la Gazette connaissait ce nom. Dean avait du mal à voir Nemours comme un journaliste politique sérieux et mondialement connu. Non, pour lui c'était Hippopotame le garçon drogué aux fruits. Cependant, depuis quelque temps il s'intéressait d'un peu plus près à ses écrits et il devait avouer qu'ils étaient très intéressants, à condition d'aimer la politique. Il voyait bien que sa colocataire était d'un coup très à l'écoute, elle attendait ses mots comme un petit chien attendant ses croquettes. Si bien que l'anglais fit durer le plaisir un peu plus longtemps en reprenant une bonne cuillère de son élixir de vie personnel.

"Bah il est journaliste à la Gazette et il se trouve que je le connais assez..."

Il s'arrêta. Il était en train d'aider Sybella Tyrel, son ex-petite-copine-diabolique à trouver le boulot de ses rêves. Jamais de la vie il ne pensait faire cela et il était quasiment sûr que la jeune fille n'en ferait jamais autant. Pourtant, l'anglais se voyait mal dire que non, finalement il ne pouvait rien faire et qu'elle ferait mieux de bosser un peu plus pour monter en grade. La jeune irlandaise le mériterait, mais Dean était incapable d'être aussi méchant, surtout si cette dernière venait de pleurer l'équivalent de trois fois la manche.

"Je pourrais peut-être, je ne sais pas, genre lui parler de toi..."

A cet instant précis la musique s'arrêta, laissant un lourd silence dans la pièce. Il voyait déjà Justin exploser de rire en apprenant que le grand Dean Thomas n'était finalement qu'un traître dans la lutte anti-pimbêches-irlandaises. Déjà quand ce dernier apprendrait que ces deux-là étaient sortis ensemble, il risquait d'entendre parler du pays, mais si en plus il devait apprendre que Sybella avait trouvé un super boulot grâce lui... Puis il vit Hannah, qui serait sûrement incroyablement fière de lui, en lui disant que tout le monde méritait une seconde chance. Au bout de quelques secondes de réflexion, il décida que suivre les conseils imaginaires de son rayon de soleil personnel était sûrement une bien meilleure idée que ceux du faux Justin. De plus, en faisant cela, la jeune fille lui serait sûrement éternellement reconnaissante, ce qui pourrait servir à l'avenir.

"Je ne fais pas ça pour être gentil."

Tout le monde sait qu'il est, après Clement Delpech, la gentillesse incarné. Ou du moins il s'en rapproche. Jamais l'anglais ne pourrait faire de mal a quelqu'un, même si cette personne avait passé la plupart de sa scolarité à l'emmerder. Le garçon se releva et alla placer un nouveau vinyle sur la vieille platine, cette fois c'était Simon & Garfunkel qui retentit dans le petit salon de l'appartement de Pré-au-lard.

Plus elle l’écoutait parler, plus elle se disait qu’il était vraiment en train de pousser le vice. Etait-il en train de l’aider, généreusement, le plus simplement du monde ? Voulait-il sincèrement lui offrir un coup de pouce majeur dans sa carrière pour le moment médiocre de future plume du journalisme ? Sybella n’en revenait pas vraiment. Elle le dissimulait plutôt aisément, mais ses pensées étaient tellement confuses et chaotiques qu’elle ne répondit pas tout de suite, lui laissant tout le temps de profiter du silence relatif et de la musique. « Tu penses que c’est une bonne idée ? » finit par demander la blonde, un brin rhétorique.

Elle n’avait, pour être honnête, pas envie de se sentir redevable envers son ex. Il avait beau être une crème ce soir, elle était encore trop Sybella pour ne pas craindre un méchant retour de bâton. Qui ne lui assurait pas que le lendemain il retournerait sa veste et se ficherait d’elle et de ses envies de carrière ? La méfiance était revenue entre temps la hanter comme une vieille et fidèle amie. Pas assez habituée à l’idée que les Gryffondor pouvaient se montrer charitables, sinon bienveillants envers leurs anciens ennemis quand ils voyaient la faiblesse de ceux-ci, l’irlandaise allait à reculons dans ce débat où elle sentait le piège à plein nez. « Je sais pas Dean. Je crois pas que ce soit à toi de faire ça. Je veux dire … » Elle soupira, hésitante, jouant avec sa cuillère qu’elle n’avait pas trempé depuis trop longtemps dans le Nutella. La jeune fille finit par briser la magie de l’instant, reposant l’outil métallique dans un bruit sourd sur le comptoir et haussa les épaules. « Fais comme tu veux. » fut tout ce que Dean put arracher dans le souffle de la blonde. Lui dire oui, c'était trop facile et attendu. Lui refuser, c'était le pousser à foncer.

Elle n’avait plus tellement que ça envie de parler d’elle. Elle avait peur, soudainement. Les remords et les relents de sa soirée lui rappelèrent à juste titre que la confiance n’était jamais totale et qu’aux pires moments, elle se retournait contre vous. Sans réellement comprendre pourquoi Thomas aurait dérogé à cette règle, la danseuse considéra un peu brutalement que c’était assez de gentillesse et de laisser-aller pour un bon mois. Elle ne devait plus laisser ce type d’incidents se reproduite. Il en avait un peu trop vu d’elle-même, un peu trop de choses qu’il ignorait et qu’il aurait du continuer à ignorer.

Simon et Garfunkel prit le relais et au même moment, Sybella éclata d’un drôle de rire un peu cynique. « Non, bien sûr que tu fais pas ça pour ça. » Pourquoi d’autre, alors ? La question lui brûlait méchamment les lèvres mais elle s’abstint de la lui poser et esquissa un sourire fatigué. Son regard se dirigea naturellement vers l’horloge qui affichait une heure on ne peut plus tardive. Bientôt le soleil se lèverait, et elle devrait retourner au travail. Pour quelqu’un qui n’avait pas encore eu l’opportunité de fermer l’œil de la déplorable nuit passée, Sybella sentait peu à peu la fatigue l’oppresser avec force. Son lit lui faisait tout à coup terriblement envie et elle engloutit son thé avant de laisser la tasse dans le fond de l’évier. « Je vais me coucher. Je suis claquée, et je ne tiens pas à avoir des valises de trois semaines là-dessous. » Du doigt elle pointa ses yeux et quitta la cuisine, se dirigeant lentement vers sa chambre. Avant de quitter le salon, elle se tourna légèrement vers l’ancien rouge et or, l’observant quelques secondes avant de lui sourire pour une raison qui échappait au bon sens et à la normale. Un merci déguisé sous son visage froissé par l’épuisement. L’instant d’après, sa chevelure blonde avait disparu dans l’encadrement de la porte et, se glissant dans sa chambre, elle s’endormait d’un sommeil sans rêve, oubliant de rendre le pull à son propriétaire par la même occasion.