Ma chère cousine,

Non, je plaisante, tu sais mieux que quiconque que je suis incapable de commencer une lettre de cette façon, aussi grandiloquente, surtout lorsqu'elle t'est adressée ; permets-moi donc de reformuler correctement : Salut toi !

C'est gentil de prendre des nouvelles de ton cousin préféré ! Je veux bien pardonner ton mutisme inquiétant si tu acceptes de déjeuner avec moi la semaine prochaine —je crains qu'il ne faille cependant réserver une table dans un restaurant discret et utiliser de faux noms. J'apprécierais également le fait qu'il ne soit pas trop cher. J'aimerais pouvoir te raconter que j'ai démissionné mais c'est faux, Kendra, et toi-même tu le sais. Je n'ai jamais su te mentir, après tout.

Dis-moi, ma cousine chérie, toi qui es si intelligente, à quoi cela servirait-il de te cacher cela, à part amplifier ta haine et ton dégoût de moi ? Parce que ces rumeurs sont vraies. Elles le sont depuis que j'ai dix-sept ans. J'ai joué avec le feu et je me suis brûlé. On m'a trahi comme je t'ai trahi. L'ironie est parfois cruelle, n'est-ce pas ? En même temps, elle est supposée l'être.

Je ne sais pas où je vais en répondant à ta lettre ; je ne sais pas, tout simplement. Je ne contrôle plus rien, je ne peux qu'imaginer ; et j'imagine avec une facilité insolente ta réaction face à cette vérité implacable, celle qui brandit crânement ma véritable identité comme un rempart entre nous. Il y a tellement de choses que j'ai sciemment oublié de t'avouer. J'aurais dû, pourtant.

Mais cette vérité que tu t'apprêtes à découvrir, Kendra, elle n'est rien face à cette certitude qui demeure, forteresse impénétrable au milieu des châteaux de carte qui composent mon quotidien : tu es ma cousine. Je t'aime. Interprète ça comme tu le voudras mais même si une lueur de haine finit par apparaître dans tes yeux, tu resteras toujours, aux miens, la gamine bruyante et insolente que je devais garder pendant les vacances scolaires. Et s'il faut choisir— *plusieurs lignes sont sauvagement raturées* S'il faut choisir, je n'hésiterais pas.

Je suis en fuite, Kendra, à partir d'aujourd'hui et jusqu'à ce que cette guerre silencieuse que nous menons dans l'ombre cesse, si elle cesse seulement un jour ; mais ne t'inquiète pas pour moi. Hais-moi, déteste-moi s'il le faut, brûle tous tes souvenirs, nie notre lien de parenté, le passé...

Prends garde à toi, on pourrait t'utiliser et peut-être que la haine est l'option la plus sécurisante pour toi en ce moment,
Tu es la seule famille qui me reste,
Aloysius.

P.S : Il y a plein de restaurants du côté moldu de Londres, et qui soupçonnera un Sang-Pur de s'y rendre ?

Chère Princesse de Clèves,

Me voilà en train de vous envoyer une missive, pauvre fou que je suis. Et pourtant nul regret n'empèse la plume qui gratte le vélin charmant. Je m'en serai voulu que ma missive soit rédigée d'une laide écriture. Mais voilà que je digresse, et vous emprisonne de sottes paraphrases.

Vous m'excuserez, j'espère, mon amour pour le jeu, mais comme ce serait dangereux, très chère, de révéler nos noms.

Apprenez seulement que j'ai connaissance d'un ami commun. Dont le prénom est presque aussi exquis que le fruit dont il a l'insolence. J'ai appris, totalement par hasard, que cet ignoble goujat vous avez laissé dans un silence maladroit. Je me dois de réparer ses tords, non pas chevalier, ni faible ni fort. Je ne suis qu'une ombre, un être fait d'une lettre, et je vous en pris, madame, de bien vouloir m'en excuser.

Sachez que ce cher ange se porte comme un charme. Nourri, logé, blanchi - j'en verserai presque une larme. Il est dans une sécurité bancale, certes, mais je suis garant de sa quiétude. Si il n'a guère l'occasion ou le temps de vous écrire, sachez que moi, madame, suis là pour vous servir. Si vous aviez quelque méfiance à mon égard, je vous dirais bravo ! car quiconque en ce monde se montre trop insouciant a vite fait de le regretter. Pour vous, qui semblez compter, je vous avertis donc comme l'ombre d'un ami - faites attention à vous, je vous en prie.

Mon cher ami rapace (dont le nom est Baudelaire) saura vous retrouver, et si par mégarde vous comptiez me répondre, il serait tout aussi utile pour parvenir à moi. Qui s'occupe des adresses, en ce monde ici bas ? L'anonymat est roi - et la discrétion reine.

Bien à vous, votre ombre,

Alexande Dumas.

Douce et tendre Princesse de Clèves,

votre missive fût rapide. Je suis heureux d'avoir titillé ainsi votre curiosité - et j'excuse votre méfiance, tout comme j'excuserais les moqueries d'une vieille amie.

Ce qui me pousse à vous écrire, très chère, n'est guère plus que votre curiosité. N'est-il pas légitime que vous vous interrogiez sur cet ami commun aux secrets dérangés ? Me voilà votre espion, si l'on puis dire - ne suis-je pas une ombre, ô princesse, et les ombres ne se cachent-elles point dans chaque morceau de lumière ?

Je ne vous connais point, mais vous adore déjà. La lueur rouge de votre coup, orne comme un phare sa pâle joue ; comme j'en ris quand il me tourne le dos, ce fou. Princesse au coeur volontaire, vous voilà faite reine dans mes esprits d'obscurité. Laissez-moi adorer un souvenir que je n'ai point connu - et ce fou commun refuse de me parler de ce que vous lui fîtes, sûrement est-il gêné. Peu me chaut - vous écrire me suffit. Ce n'est point mon intérêt que je souhaite garantir.

Quant à une possible correspondance épistolaire, madame, je serai vraiment ravi de satisfaire à vos lettres, et de courber ma plume sous vos charmantes questions. Mes mots d'encre sont à vous, Princesse.

Bien à vous, votre ombre,

Alexandre Dumas.

Douce, mystérieuse Anne,

Nos lettres m'ont manqué, si je puis dire et me permettre.

Je ne suis ni une farce ni une menace. Je suis l'ombre ; de fumée et de cendres. Si je puis puiser dans le peu de confiance que vous pourriez m'accorder, sachez qu'en cela, je dis vrai plus qu'en tout autre propos - je suis une ombre.

Sachez que, toute princesse ou reine que vous ne soyez pas, les lettres sont un univers propre. En celui-ci, vous êtes impératrice d'un château que je défendrai volontiers, et qui n'est autre que vous-même. Chevalier d'ombre, silhouette geôlière, gardien d'un songe. Cessons les étiquettes conventionnelles, et devenons ce que nous désirons. N'est-ce pas merveilleux ? L'imaginaire humain m'a toujours fasciné - être capable de créer quelque chose à partir du néant. Le vide est-il une forme d'art, selon vous, pour que l'on puisse ainsi y puiser des peintures, des livres ou même les vers d'un poème ?

Notre ami commun continue de vivre sa vie. Je ne m'attarderais pas là-dessus, car je ne pense pas qu'il souhaite que je vous prévienne de quoi que ce soit. Mais sachez qu'il est en sécurité, comme toujours - il croit sûrement le contraire, de tout son coeur. Mais je promets que personne ne le touchera. Personne ne lui fera de mal - vous en avez ma parole. Une parole d'ombre, certes, mais je vous l'offre.

Moi même épris de poésie, à l'instar de votre aimable bien-aimé ami - tout comme de littérature - je suis tombé sur une curieuse citation, l'autre jour. « Abyssum Abyssum Invocat. » L'abîme appelle l'abîme. Curieux mots, vous ne trouvez pas ? Je parlai de vide, tout à l'heure, et il semblerait que le thème de cette missive soit le gouffre, l'abysse, le précipice. J'en suis navré, princesse. Il étonnant, douce reine, que l'abîme puisse attirer l'abîme, ne trouvez-vous pas ? Pensez-vous qu'un être, dans sa chute, n'en entraîne un autre ? Par sa volonté, involontairement ? C'est absurde que de se laisser entraîner dans une lente agonie, dans l'abîme humain.
Il semblerait que mon propre précipice ne soit pas loin.
Mais ne sommes-nous tous pas au bord d'un ravin, et il suffirait d'un pas pour que tout bascule ?
Ces interrogations ont été vues et revues, et je remâche cruellement et obstinément de vieux malheurs. Pourtant, à vieux souvenirs, présentes lueurs.

Ma clarté est floue - vous pouvez me blâmer pour ce bref essai pathétique de philosophie psychologique. Je suis une piètre ombre, à l'esprit confus. M'excuserez-vous, ma douce, si je vous conte un fait sur notre cher Baudelaire, notre ami commun ?

Il a appris à jouer du piano.
Et il en joue divinement bien.

Ses mélodies sont fascinantes. Il y met de l'émotion, quand le fait de jouer doit être neutre. Pourtant, la musique n'est belle que quand elle est jouée avec un sentiment. Et il est doué à ce jeu-là, chère Princesse. Très doué - envoûtant, ensorcelant, étrangement. J'aurai aimé vous le faire écouter.

Peut-être la prochaine fois, si j'ai l'occasion de l'enregistrer magiquement.

Je dois vous laisser ici, princesse de mon emprise.

Je vous laisse sur l'imagine de notre ami, jouant du piano sous les rayons d'un soleil pâle et paresseux qui l'orne d'or.
On dirait une statue de marbre, ambré de clarté.
Il sourit, si cela peut vous rassurer.
Cela me rassure, moi.

Votre ombre, Alexandre.

Ma très chère Anne, mettons donc les étiquettes de côté, les ronds de jambes et autres révérences littéraires et inutiles. Cela me convient tout à fait. Quant à votre idée, je ne puis vous juger. Vous êtes maîtresse de vos opinions, et j'en suis bien aise.

Si vos mots me blessent cruellement, sachez que bien qu'ombre d'encre, il me serait aisé de vous appuyer si vous aviez un problème. Votre ombre est de ténèbres, et l'obscurité se cache partout, n'est-ce pas ? Je ne vous demande guère d'attendre quoi que ce soit de moi, néanmoins, sachez que mon assistance n'est pas que de papier. Bien entendu, l'anonymat me sied bien plus qu'un visage ou un masque - quelle ironie. Je resterai donc votre Alexandre, quoi qu'il arrive.

L'émotion. Fugace sentiment qui, selon vous, permet de créer. J'ai un avis totalement différent - pour moi, l'émoi n'est guère qu'une trace physique et non psychique. Il n'y a rien de créatif dans un saisissement de l'âme aussi primaire. Et l'appel du vide, chère amie ... Saviez-vous que ce qu'on nomme vertige n'est guère plus que la peur de la chute ? Il n'y a pas, à proprement parler, de peur du vide. Chaque personne court près d'un fossé, mais si l'homme n'a pas peur du néant qui l'attire, c'est parce que ce qui le terrifie n'est pas cet abysse profond mais la chute en elle-même. La voix, serait-ce notre conscience, qui nous pousse à franchir ce pas décisif ? S'enchaîner à une personne, au point de sauter avec elle, d'y être entraînée ... C'est plutôt pathétique. Mais l'être humain est aveugle - et parfois, bien volontairement. Fermer les yeux ne réduit pas le danger, et ceci est un réflexe de survie que la simple peur fait suivre. Voilà encore une preuve que les émotions sont mauvaises, ne trouvez-vous pas ?

Ma propre chute entraînerait bien des malheurs. Je me dois de rester debout et les pieds bien au sol. Quant aux autres, ceux qu'ils entraînent les regardent. Je ne suis personne pour condamner. Même si il y a bien une personne à laquelle je m'enchaînerai volontiers - peut-on parler de fascination pour un sauveur ? Mais, parfois, celui qui nous affranchi n'est pas celui que l'on croit. Une fois de plus, Milady, me voilà à vous parler comme à une amie très chère. Ma plume dicte sa loi, et je suis sincèrement désolé de ne pouvoir être plus précis que cela.
La vérité est dangereuse, aussi tranchante que des bouts de miroir.
Je m'en voudrais de vous blesser avec elle.

Votre confiance - si elle m'est accordée un jour, vis à vis de notre cher ami, sera bien gardée. Il ne lui arrivera rien - je ne laisserai point faire. Prenez cela comme un serment. Quiconque mettra la main -ou le verbiage aiguisé- sur lui se verra châtié d'un juste courroux. (Le mien, bien entendu, mais ce sera en votre honneur. Seule votre main peut orner sa joue de rose, sommes-nous d'accord ?)

Ma description de notre ami n'était guère plus que poétique. Cela ne signifie rien. Autant parler de lui en termes élogieux - quiconque d'autre que nous le ferait, ma douce ? Permettez moi d'en rire. Peut-être notre vision diffère t-elle et pourtant, la mienne devrait y trouver noirceur et mensonge, tout comme vous, je suppose. Mais le soleil a ce don de bannir les ténèbres, ne serait-ce qu'un instant. Et c'est auréolé de l'astre qu'il est le accompli - parfois, je me dis que le passé n'a jamais existé. Mais les rêveries sont douloureuses, surtout au réveil, ma douce Anne. Nous ne m'y reprendrons plus - je ne rêverai plus.

Je vous confie dans cette lettre un petit enregistrement magique. Notre ami ne sait guère que je l'ai espionné - il en serait sûrement courroucé. Mais cela m'amuse. Ecoutez donc sa mélodie. Et osez me dire qu'il n'est pas doué - contradictoirement, les émotions, pour une fois, servent une juste cause. A moins que ce ne soient juste les siennes qui savent y faire, un monstre d'ivoire et d'ébène sous les doigts. Je ne me lasse pas de cette musique. Le Lac des Cygnes a toujours été ma mélodie préférée.
C'est sa version que j'adore entre toutes.

Navré pour cette longue lettre. Mais nos échanges me plaisent de plus en plus.
Je pense avoir eu raison de m'entretenir épistolairement avec vous, Anne.

Prenez soin de vous.

Votre ombre, Alexandre.

«

Et si demain disparaissait ; que feriez-vous, princesse ?
Voilà que nos songes qui s'envolent, comme de volages fumerolles,
que pouvons-nous y faire ? Nos doigts ne peuvent retenir leur vitesse,
l'amour est une ombre, enchaînés à leur obscur vol.
Me tordre, serpenter, onduler jusqu'à ce que mes os se disloquent ;
tourne l'orage, et s'insinuent dans l'air les éclairs des démons
vers qui s'élèvent les crocs des monstres, claquant dans un choc,
cette fois est la bonne ; les ténèbres font leur ascension.
Harpie et sirène, chimère et fantasmes sortent de sous le lit,
cruelle obscurité, tu enfantes ces titans dans la cendre et le sang
et dans tes rires de cette perfection immonde, l'objectif accompli,
joueuse et féline, tu attires les hommes, vide obscur du néant.

Pourquoi la séduction, l'attraction de l'abandon à tes Abysses ?
Aimer n'était pas suffisant, haïr n'était pas permis.
Si l'Homme se glisse en ton sein, vile bougresse,
Fort et puissant qu'il est, Son esprit d'un geste tu détruis.
Moi, ombre parmi les ombres, je ne suis qu'une silhouette,
qui se débat, mollement, entre tes bras trop lourds ;
me détruire est chose aisée, de tes rires aux grêles clochettes.
Pensais-tu que je résisterais à tes sourires, avec mes regards gourds ?
mort ? Ne l'étais-je pas déjà, quand je suis tombé dans tes filets ?
Il ne m'a fallu qu'un temps, qu'une infime seconde, et j'ai capitulé.
A présent, je flotte, sans conscience, vide et glacé.
Vaincu et dépassé, je suis enfin en paix.

»

Spoiler:

Ma douce Anne,

Ma dernière missive était spontanée, peut-être trop ; dictée sous ce que vous appelez émotions, mes humeurs ont prit l'attrait de la plume pour s'épancher. Peut-être n'était-ce pas approprié. J'en suis désolé, ma chère amie. Si j'ai été pitoyablement humain, sachez que j'ai su me ressaisir avec fracas.

«
L'humanité n'est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l'honnête homme a ses faiblesses.
»

J'ai beau me parer des masques de mes désirs, je ne suis qu'humain. Ni bon, ni mauvais. Croyez-le ou non. Cette affirmation, qui n'appartient qu'à nous, je la nierai de toutes mes forces, à jamais. Je ne veux pas être humain - ce serait vouloir s'abaisser aux désirs les plus primordiaux.

Et vous, ma tendre Princesse, qu'en est-il de vous ? De vos amours, de votre travail ? Le temps n'est pas aussi amical qu'il le voudrait en ce qui me concerne, soyez indulgente, je vous quitte ici et reprendrais ma lettre plus tard.

(...)

Comptez-sur moi pour le protéger. Et vous protéger également. Il en est de mon devoir, celui que je me suis donné à moi-même. Je ne suis peut-être pas un chevalier en armure, mais chaque action que je ferai sera dans les intérêts de ce pianiste en devenir. Ce n'est pas de l'amour, ni de la possession. Je commence à prendre conscience. Nos échanges m'aident à faire le point. Je suis navré de ne vous parler que de lui, quand je voudrais vous causer de milles autres choses. Pourtant, vous le connaissez et cela me suffit à vouloir m'ouvrir un peu. En cela, soyez bénie, à vous qui m'écoutez, me lisez, acceptez mes confidences.

Anne, croyez-vous qu'une vie de péchés puisse être rachetée par quelques vertus ? Le passé d'un homme doit-il peser à jamais sur sa vie, entacher et souiller son âme ? Tiens, d'ailleurs, croyez-vous que nous ayons une âme ? Si tel est le cas, la mienne a disparue depuis longtemps. Cela me rend peut-être plus exigeant, plus inhumain. Peut-être ne suis-je réellement qu'un monstre au doux visage, à la douce plume. J'ai appris, par des années d'expérience, que l'argent n'achète pas tout. Il est des choses qui ne peuvent se payer de façon pécunière - et face à cela, je suis sans défense, à genoux.

Priez-pour moi, Princesse de mon esprit. Envoyez-moi vos bons voeux, car ce que je m'apprête à faire me dépasse entièrement.

Ayez une pensée pour votre ombre.
Songez à ses souffrances, et au bonheur qui n'est qu'illusion en ce qui le concerne.

«
L'amour, la haine, vous n'avez qu'à choisir, tout couche sous le même toit.
»

Votre Ombre, Alexandre.

PS : pardonnez également les citations de ce cher Laclos ; ses lectures m'apaisent et ma fascinent toujours autant.

Chère Anne,

Rimbaud a dit « Le seul courage est de parler à la première personne. » Sachez que je vous respecte d'avoir cette bravoure de coucher par écrit, sous la puissance de l'encre, vos pensées et vos mots.

Contrôler est d'une force quasi divine. Avoir la puissance de maîtriser ce qui nous entoure, ceux qui nous entoure, est une joie qu'il ne faut pas toucher de peur de la désirer à jamais. Je comprend ce que vous avez voulu dire - sentir sa propre impuissance face à une situation que l'on ne commande pas est pire que la mort. La faiblesse, l'incapacité qui engourdit l'être, quand le temps et les choses passent sans que l'on puisse les retenir, tout cela est d'une douleur que peu connaissent. En cela, mon amie, ma compréhension est grande, et ma compassion plus grande encore. Je ne sais ce qui vous abat ainsi, et vous rend si nostalgique.
Ce n'est guère mon goût et ma manière de me montrer conciliant, mais sachez que vous avez mes meilleurs voeux, et je vous souhaite le meilleur, pour le présent comme l'avenir, ma douce Anne. Peu importe le reste, je suppose - peu importe le regard sévère que vous portez sur vous même, comptez sur moi pour vous admirer. Si je ne peux me targuer de vous connaître de vive voix, de vive chair, je peux m'ennorgeuillir d'avoir lu les mots de votre coeur.

Si tant est que j'ai le pouvoir de juger, vous êtes une personne de bien. Pardonnez ma maladresse dans les compliments, je n'y suis pas accoutumé. Mais, Anne, vous êtes reine et impératrice de votre monde, si ce n'est de vous-même. Vous contrôlez ce qui est vous - votre essence. Peut-être ne puis-je pas vous aider pour ce qui vous entoure, mais vous seule être maîtresse de votre bonheur. Et c'est le pire que je vous souhaite - être heureuse. Dans chaque obscurité, il y a de la lumière, car l'ombre n'existe pas sans elle. Vous n'êtes pas ordinaire - vous me fascinez, par bien des aspects. Et il n'y a pas femme plus digne de mon admiration que vous, croyez-moi.

Pour une fois, je ne parlerai pas de lui. Il se porte aussi bien qu'il le peut. Je préfère mettre toute mon attention sur votre propre personne. J'aurai bien assez de temps à ses regards, à ses sourires et à ses insolences plus tard. Vous méritez ce moment épistolaire, comme vous méritez mes mots. La douceur n'est pas mon fort, pardonnez-moi encore.

L'âme. Un grand concept. Avez-vous déjà ressenti cette distance de soi, comme un non-ressenti ? Cela me fait songer à cette citation, dont l'auteur m'échappe - « Je suis distinct de toutes mes sensations. Je n’arrive pas à comprendre comment. Je n’arrive même pas à comprendre qui les éprouve. Et d’ailleurs qui est ce je au début des trois propositions ? » Il y a cet être qui parfois n'est pas nous. Peut-être est-ce cette âme, ou non. Je ne sais si j'y crois ou pas, ma douce ; peut-être ne veux t-on croire que ce que l'on veut bien vouloir. Et nos désirs sont changeants, nos croyances également. Mais, bien des écrits littéraires ont offert à l'Homme une certaine constance dans ses pulsions - ne sommes nous donc que cela, des êtres primaux agités de désirs ? Je me refuse à cela. Je vaux mieux que mes besoins et mes envies - vous valez également mieux que cela.

Ma douce Anne, vos mots sont exacts - le passé est sombre et plein de terreurs. Le mien, celui de tant d'autres. Rien ne peut l'effacer - et l'appel de la tombe est bien plus proche, il se fait sentir, nauséabond, j'ai beau le fuir mais - (la suite est raturée, élégamment raturée, étrangement)

La monstruosité. Tout être vivant est un monstre pour les autres, ne croyez-vous pas ? Il n'y a de monstrueux que l'ignorance - ce n'est qu'une bête incompréhension. Et pourtant, sachez que les démons existent, de chair et de sang. Et ils sont souvent déguisés sous de beaux visages trompeurs - diables cruels, vengeurs et désolés. Je connais des monstres - j'en ai eu un pour parent. Mais je m'égare, ma chère Anne, dans des tréfonds trop sombres pour être évoqués.

Vous êtes trop bonne avec moi. Je remercie vos pensées et vos mots. Je vous rend au centuple votre bonté, et je me permet même d'annoncer que la dernière phrase de votre lettre a fait naître un sourire sur mes lèvres. Pâle, mais sans équivoque, un sourire. Vous êtes une chance, Anne. Ma félicité faite encre, peut-être.

Je vous remercie, ô grâce scintillante, ô miséricordieuse Anne.

Bien à vous, de toute mes forces,

Alexandre.

Chère Kendra,

Je voulais t'en parler en face, mais je sais que tu as un emploi du temps très chargé et je ne doute pas qu'en ce moment tu es bien d'autres choses à faire que passer me voir. Cependant, je lis la presse et je m'inquiète un peu pour toi. Tu sais bien que je ne suis définitivement pas une admiratrice de Lichuan, mais je sais que c'est avant tout ton cousin et que la famille est quelque chose d'important.

Si je me décide à t'écrire aujourd'hui, c'est que je comprends ce que tu peux ressentir face à de telles révélations, puisque je vis une situation plutôt similaire avec un ami de longue date. C'est difficile d'accepter qu'un être qui nous est cher et que l'on pensait connaître, ne soit pas réellement comme on l'avait imaginé et que même si on le voulait, on ne pourrait jamais detester.

Enfin, je ne veux pas t'embêter plus longtemps, je sais que tu n'as pas de temps à perdre, mais n'hésite pas à passer me voir ou à m'écrire.

Automne.

Ps : La dernière fois je t'ai aperçue en ville avec une charmante brune et je serais bien curieuse d'en apprendre plus sûr elle.

Princesse.

Ce fut un plaisir ravissant que de faire de la poésie avec vous, et de recevoir votre café sur mon humble visage. Mais toutes les joies ont une fin. Voici la nôtre.

Je quitte Londres.

Je quitte les Mangemorts.

Lichuan n'est pas au courant. Mieux vaut qu'il ne le soit pas. Ou il se réjouirait bien trop fort. La réalité est là - je ne veux pas avoir à le dénoncer, si les mangemorts décident de vérifier mes informations sur lui. Aussi étrange que cela puisse paraître, je l-

Vous allez me manquez. Je ne pensais pas vous apprécier à ce point, ma douce Princesse. D'une certaine façon, nous nous sommes éloignés de nos gouffres personnels, ne pensez-vous pas ? Cependant, votre cher cousin a précipité ma chute. Qu'il exulte de cela si il en a le loisir.

Adieu, ma princesse. Je vous donnerais de mes nouvelles, et voici une adresse où me joindre, en utilisant le pseudonyme de François de la Vallières. Brûlez nos lettres, ou cachez les précieusement, comme vous voudrez. Mais j'emporte avec moi le doux souvenir de nos missives. Vous me manquerez, oui.

Être sans importance que tu es,

J’avais oublié ton existence, jusqu'à ce que je découvre ce poil à gratter dans mon pyjama. Ton humour laisse sérieusement à désirer et si tu veux mon avis, bien sûr que tu le veux, ce n’est pas comme ça que tu gagneras l’amour de Vladounet ou de Lichi d’amour. Tu es aussi nuisible que cet idiot de Rougemont, mais je ne peux t’en vouloir, après tout, tu es une amie de la chose que me sert de frère. Cet idiot ne sait reconnaître le véritable génie, préférant traîner avec des tares comme vous.

J’ai jugé bon de t’écrire, pour te dire que j’avais non seulement vu ta blague, mais aussi compris que c’était toi, en même temps qui d’autre ? C’est vraiment triste que tu es besoin de ce genre de chose pour exister, pauvre fille, tu ferais mieux de te trouver de vrais amis. Parce que tout le monde sait que Vladounet et Lichuan c’est moi qu’ils préfèrent, tu ne ruineras pas notre famille.

Dimitri le merveilleux.

Toi,

Que tu es bruyante, agaçante et immature. Ta petite blague n'a pas fonctionné, parce que sachant que la lettre venait de toi, j'ai demandé à un de mes employés de la lire. Tu sauras que grâce à toi, il a dû se rendre à Sainte Mangouste et qu'en plus, il ne sera pas payé. Être cruel et sans coeur que tu es. Néanmoins, je me dois de me venger, parce qu'un Russe n'ignore jamais l'ennemi. Tu veux jouer ? On va jouer, mais je te préviens, je gagne toujours. Comme tu es un véritable parasite, je t'ai prévu plusieurs petites surprises pour cette journée ensoleillée.

Déjà, je pense que tu seras heureuse de découvrir au fond de ta tasse, oui celle que tu es en train de boire, Alfred, un cafard que mon elfe de maison est allé chercher dans les sales quartiers de Londres. Ensuite, pour que tu réalises à quel point tu es fatigante, je t'ai trouvé une petite fanfare qui va te jouer l'air de la pub de dentifrice de j'adore, toute la journée, peu importe où tu iras. Je sais que cela te fait plaisir et pour que tu puisses en profiter au maximum, je vais te laisser.



Bonne journée.

Dimitri le merveilleux.

Merci. Grâce à toi, j'ai pu faire des courses de chaises à roulettes dans les couloirs, acheter une toute nouvelle chaise de bureau et surtout j'avais la meilleure raison du monde pour enlever le bas, tenue idéale en cas de canicule. Comme tu peux le voir, j'ai mis les bouchées doubles pour te remercier. En commençant par cette petite douche rafraîchissante à même le lit. Tu savais que les écossais prenaient des douches glacées tous les matins pour avoir une meilleure circulation sanguine ? Et comme je suis un homme merveilleux, je me dois te m'occuper de toi. Au passage, très joli appartement.

J'espère que ton café du matin était assez sucré pour toi, parce qu'une amie à moi m'a dit que les cafards avaient tendances à absorber le sucre. Cependant, ils apportent pleins de vitamines qui te donneront un joli teint pour l'été. Si jamais tu n'as pas croqué ou avalé Nikolai (le cafard), sache qu'il est parfaitement réutilisable. D'ailleurs j'ai mis son père dans ton repas du midi, haché-menu histoire qu'il ne reste pas coincé entre les dents.

Je voulais t'apporter un goûter, mais je me suis dit que tu n'en avais pas besoin, mais pour que tu puisses prendre une pose, je me suis dévoué pour t'aider un peu dans ton boulot. Alors, ne t'en fais pas si tu ne trouves plus les dernières pages, je m'en occupe personnellement, à moins que ce ne soit mon chien. Enfin, ce n'est pas très important, ce n'est pas comme si les gens lisaient tes articles.

Avant que tu ne rentres chez toi, j'ai rangé ton appartement, tu sais je pense vraiment que tu devrais t'intéresser au Feng Shui, pour une meilleure circulation des ondes dans ton appartement, qui aide à l'inspiration (on ne sait jamais, un jour un de tes articles servira peut-être à autre chose que de la lecture pour WC). Enfin, tout ça pour dire que si tu cherches ton bureau, il est sur le balcon et le frigo dans les toilettes. Le feng shui c'est vraiment plein de surprises.

Enfin. Tu ne devrais pas tarder à entendre derrière ta porte un magnifique hymne russe. Une berceuse pour dormir ne fait de mal à personne pas vrai ? T'en fais pas, comme je sais que tu es insomniaque, je compte rester toute la nuit et tu pourras dire merci à ton voisin, tu sais le petit gros d'avoir accepté de me prêter son micro et ses enceintes, sans quoi tu ne pourrais pas entendre ma douce voix.

Pas la peine de me remercier pour cette journée, j'aime prendre soin de toi.

Dimitrichou.