L’inventaire brillamment fini –aucun bocal de sucrerie cassé en route, la belle victoire !-, Jodie remonta de la cave et tendit non sans fierté la fiche remplie à la propriétaire de la boutique. Plus qu’à attendre les félicitations pour ce travail excellemment bien effectué. Cependant la main de la jeune femme ne resta pas longtemps orgueilleusement posée sur sa hanche.
- Tu as une toile d’araignée dans les cheveux.
Remarque de l’employeuse qui fit bondir la rouquine. Secouant vivement la tête et ébouriffant sa tignasse rousse, elle ne déclencha qu’un sourire en coin de l’habituée interlocutrice. Une fois assurée que si araignée il y avait celle-ci était écrasée, Jodie afficha un air innocent et s’appuya sur une étagère comme si de rien n’était.
- Il serait temps de faire un peu de ménage, dites donc !
Le haussement de sourcils de la patronne eut vite fait de lui rappeler qui était techniquement payée à s’occuper des lieux. Mince. Remarque inutile… Et qui venait même de lui rajouter une charge certaine de travail.
- … Je le ferai vendredi.
Avec une mine d’enfant déçu face à la perspective de passer une journée à épousseter, elle défit son tablier et l’accrocha au dos de la porte tout en retournant la pancarte pour signifier à tous qu’Honeydukes était désormais fermé. L’autorisation de partir à peine donnée et déjà la vendeuse était dehors. La journée à compter les stocks avait été trop ennuyeuse pour laisser apparaître le moindre désir de s’attarder.
Comme souvent en semaine Pré-au-Lard était extraordinairement calme. Plus encore en fin de journée. Les commerces fermaient, les passants étaient déjà rentrée, ne restaient tout en plus que ceux qui quittaient tout juste leur lieu de travail. Sur le chemin qui menait à son appartement Jodie s’arrêta rapidement devant le fleuriste et colla son nez contre la fenêtre. Dommage, pas de Fizz à qui faire des grimaces. Sans doute était-il déjà parti ou aujourd’hui bossait ailleurs. Tant pis, il faudrait attendre demain matin pour l’embêter.
Si peu pressée qu’elle avait été d’arriver dans son chez elle vide, une fois à bon port le temps passa cependant étrangement vite. Entre inutile rangement d’une bibliothèque dont pas même la moitié des ouvrages n’avaient été lus, nettoyage du bocal à poisson rouge, récurage d’un frigo dans lequel on se demandait si n’avait pas été tenté un élevage de bactéries et essaie raté de se couper une jolie frange, Jodie ne vit pas les heures passées. Pas loin de 21h quand enfin elle se laissa tomber sur le canapé. Mais à peine eut-elle allumé la télé que le documentaire sur les abeilles la désintéressa complètement. Ayant tourné la tête du côté de la fenêtre elle venait en effet de se rendre compte à quel point la nuit semblait belle. Parfaitement dégagée, sans aucun nuage qui venait obscurcir le ciel écossais. L’occasion était trop belle pour être manquée !
Ni un ni deux elle s’emmitoufla dans un vieux et confortable pull en laine enroula autour de son cou une immense écharpe tricotée main et attrapa les deux plaids tout juste lavés et déposés sur le canapé. Parée pour passer une soirée au frais.
Sur le chemin qui menait au parc de Poudlard Jodie traina comme souvent les pieds, s’amusant à créer d’improbable scénarii sur ce que pouvaient bien faire tous ceux chez qui les lumières étaient allumées. Les uns se trouvaient ainsi à tenter de convaincre leur dragon domestique d’allumer le feu de la cheminée pendant que d’autres se battaient avec une vaisselle ensorcelée qui refusait de se laisser ranger. Le beau sourire que ces scénettes imaginaires lui tirèrent.
Arrivée dans son coin de pelouse favori, elle déplia puis empila les couvertures et se laissa tomber dessus. Ainsi isolée d’un sol encore gelé il n’y avait aucune raison de greloter. En étoile de mer, prenant toute la place qu’elle pouvait, elle se sentait parfaitement installée pour rester un bon moment immobile. Un instant étrangement calme à regarder les étoiles, si loin des journées à s’agiter sous n’importe quel prétexte. Qui ressemblait exactement à ces nuits passées hors du dortoir quand elle était élève. Mais au fond les choses n’avaient depuis pas beaucoup changé. Les années avaient filé et était demeurée cette candide envie de tendre la main vers le ciel. De laisser tomber dans les étoiles et s’amuser à défaire et refaire les constellations.
Machinalement elle fouilla une poche et en sortit un gnome au poivre. De quoi se faire passer pour un dragon : super ! Avec un amusement toujours aussi enfantin elle regarda la fumée noire s’échapper de sa bouche pour créer de sombres mais éphémères nuages. Et ce fut au milieu de ce brouillard sucré qu’elle vit une silhouette apparaître. Familière, l’ombre. Qui lui tira un air enthousiaste et lui fit lever le bras en guise de salutation.
- Ce n’est pas bien de faire le mur, lança-t-elle sur le ton de l’ironie tout en se hissant sur ses coudes.
Natanael arrivé à sa hauteur, la jeune femme se décala légèrement afin de laisser un peu de place sur sa couverture. Puisqu’elle supposait qu’il n’était pas sorti du château dans l’optique d’aller jusqu’à la forêt interdite pour une nocturne cueillette de champignons.