Mangemorte un jour, mangemorte toujours ; comme si la marque ancrée péniblement dans sa chair n'était pas un rappel assez constant, l'ironie – ou le destin, ou peut-importe le nom que vous lui donner - a fait qu'on l’appelât, elle, Beatrice Crow, pour une mission. Impossible d'ignorer un tel ordre, à moins de vouloir se mettre volontairement en danger. Et quand bien même, sa loyauté vacillait récemment, elle n'était ni suicidaire, ni traîtresse. Surtout dans une période aussi agitée qu'à présent, alors que les murmures disaient qu'il y avait un traître dans leurs rangs – et par Merlin, les informations allaient vite, surtout quand elles étaient de ce genre, Béatrice n'aurait pu les ignorer. C'était une mauvaise période, s'il y en avait une bonne, d'ailleurs, pour attirer l'attention sur elle en désertant. Il fallait prouver sa loyauté, s'assurer une sécurité, du moins, pour un temps.

L'après-midi touchait à sa fin, le soleil disparaissait à l'horizon, lentement. Béatrice pouvait aller là où bon lui semblait, libre de toutes contraintes – seul détail, évident, ne pas être suivie. Le drame serait qu'on découvre qu'elle était mangemorte, et il n'y avait rien de plus important que la précieuse sécurité qu'elle avait à Poudlard et qu'elle chérissait.

Quel étrange lieu pour discuter de sujets probablement pas aussi chaleureux que l'environnement. Étrange, mais pas étonnant – qui penserait à écouter des conversations dans un lieu pareil ?
La mangemorte se hâtait, poussa la porte et ses yeux clairs arpentaient la pièce pour se poser sur Sherkan Rougemont. Béatrice tressaillit légèrement, se reprit bien vite. Comment ne pas connaître un tel homme ? Sa réputation le précédait, surtout chez les mangemorts. Impossible de l'ignorer, de ne pas en avoir entendu parler. La femme s'approcha, imperceptible froncement de sourcils qui témoignait peut-être de son malaise.

« M.Rougemont, bonjour. » répondit Tris sur le même ton poli que lui. S'assit, le dos droit et croisa les doigts, ne quittant pas des yeux son interlocuteur. Béatrice n'était pas occlumens, impossible de dissimuler à la perfection toutes les hésitations qu'elle avait, mais elle était habituée à monter cette muraille. Ce qu'elle fît. « Non merci, passons directement à l'essentiel si vous le voulez bien – j'imagine que vous devez avoir bien d'autres choses à faire, surtout au vu des récents événements. Je ne souhaiterai pas vous faire perdre de temps inutilement. »

La brune observait ce visage en face d'elle, remettant en place ses cheveux sombres qui s'échappaient. Les deux se toisaient, analyse simultanée, une tension presque palpable. Ce n'était juste qu'une simple mission mangemorte comme elle en avait accompli des tas – il n'y avait rien d'exceptionnel. Pourtant, Béatrice sentait une légère différence d'importance. Elle croisa les bras avec l'air apparemment détaché, mais sérieux. Tout n'était qu'une question d'apparence.

« J'imagine que cela doit être plutôt important, pour que vous souhaitiez me voir si vite. »

Béatrice était comme une proie, scrutée, le fauve meurtrier qu'était Sherkan l'analysant avec une précision quasi-chirurgicale. Le moindre de ses gestes, de ses expressions étaient détectés, analysés, rien n'était laissé au hasard. C'était une véritable mise en scène, entre deux tueurs, deux criminels, savamment orchestrés comme du papier à musique.

Et ce rire ! Ce rire qui pourrait-être le pire cauchemar de pauvres innocents qui auraient croisé le chemin du crocodile. Beatrice, elle, se contenta d'un froncement de sourcils perplexe, imperceptible signe de sa méfiance. Un frisson le long de sa colonne vertébrale, signe avant-coureur que tout cela ne prévoyait rien de bon. Décidée à ne pas laisser abattre, ne pas laisser à l'homme le plaisir de se délecter de son malaise – Tris suivit des yeux les mouvements.

Ses yeux se posèrent sur la fiole, le temps d'un quart de seconde avant que les mots prononcés par le fauve lui fasse l'effet d'une pierre dans le ventre. Ses pupilles, sous la surprise, s'élargirent et Beatrice détourna les yeux. Impossible de penser qu'elle avait mal entendu. « Caesius Abhain. Un lycanthrope. » Si on lui envoyait un signe, qu'il était temps pour elle de trahir les mangemorts, il n'aurait pas être plus efficace. Des millions de pensées lui traversait l'esprit : pourquoi ? Et pourquoi elle ? Si c'est un test, alors Béatrice en est sûre – elle ne le passera pas. Son cœur s'emballait, elle se contenta de croiser les doigts.

Tout cela semblait d'une simplicité déconcertante, dans la bouche du mangemort. D'un ton si banal, comme s'il lui annonçait la météo, non pas de la vie de quelqu'un – la vie que quelqu'un que Béatrice aimait tout particulièrement. Elle songea à tout les gens à Poudlard – Caesius, en premier temps. Oswald, malgré leurs différents, restait encore à Poudlard, et en danger par extension. Et les élèves, innocents élèves, qui n'avaient fait de mal à personne, dont le seul tort serait d'être sur le chemin des plans cruels des porteurs de la marque.
D'un geste élégant, Trice attrapa la fiole, qu'elle fit tourner entre ses doigts, captant la lumière à travers le liquide sombre. Elle se perdit dans cette contemplation, remettant de l'ordre dans ses pensées. Réfléchissant à sa réponse, à ce qu'elle allait bien pouvoir dire.

Non. Elle ne pouvait décidément pas se résoudre à trafiquer cette potion. Même si – bon sang, cette révélation la mettait dans tout ces états. Impossible pour elle de se faufiler ce soir et de falsifier cette fichue potion tout en étant consciente de ce qu'elle ressentait pour Caesius.

Elle referma ses doigts sur la petite fiole, serrant le flacon contre sa paume. La brune ferma les paupières, quelques secondes, et ses lèvres affichèrent un léger sourire. Quel étrange décalage entre ses pensées, la légère panique qui s'insinuait de manière sournoise dans ses veines et ce sourire presque malveillant.

« Vraiment trop cruel. Je vois déjà les gros titres. » Son sourire s'envola, imaginant déjà les médias s'emparer de cet incident. Dumbledore et Poudlard n'auraient plus aucune crédibilité, l'école ne serait plus le havre de sûreté qu'on disait. « Bien sûr, j'imagine que les autres sont au courant – cela serait bête qu'un enfant de l'un de nôtres se fassent bêtement blessé par une... telle chose. » S'il y avait du dégoût dans la voix de Béatrice, c'était pas la simple idée de prononcer ses mots en parlant de Caesius. Elle n'en pensait pas un mot. Et faisait passer son inquiétude pour une inquiétude pour les élèves.

La mangemorte – mais l'était-elle encore vraiment, dans ses convictions? - glissa le flacon dans sa poche de sa cape. Beatrice n'avait qu'une envie – fuir, fuir, fuir loin des griffes oppressantes des mangemorts, jeter cette fiole qui la brûlerait presque rien que par ses implications. Mais Beatrice posa son regard sur Sherkan.