Vacances de la Toussaint, 1996.

« Je vous demande pardon ? »
Gala Anushka Reed fixe l’homme à l’allure étrange d’un air ahuri, assise dans un grand fauteuil recouvert de fleur, le dos droit, les jambes croisées et les mains sagement posées sur ses genoux. Il est trois heures de l’après-midi et la jeune sorcière n’est rentrée chez elle que depuis deux jours que tout va déjà de travers.
D’abord, quand elle est rentrée, sa mère était en déplacement. On lui a appris qu’elle ne rentrerait pas avant la semaine suivante, et qu’elle allait donc devoir tuer le temps, seule, dans sa grande maison au sol de marbre. Et puis Kroshka était malade, en arrivant. On lui a également dit que sa chambre n’était pas disponible, à cause d’une histoire d’une histoire de femme de ménage maladroite ou quelque chose du genre. Et maintenant, cet homme.
« Je vous le répète, Mademoiselle Reed : je suis votre père biologique. »
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Gala n’a jamais entendu parler de son père. Impossible pour elle de savoir s’il dit vrai, ou s’il essaie de la mener en bateau. Et puis, elle n’a aucune idée de comment elle pourrait vérifier.
Elle avise un instant son prétendu géniteur, l’œil critique. Elle s’attarde sur le menton, le nez, la bouche. Du bout des doigts, elle effleure le bas de son visage et pâlit. Les mêmes.
« Eh bien… Je suppose que Mère sera ravie de vous revoir. Je vous ferai préparer une chambre et-…
-Oh, non, ne vous donnez pas cette peine, annonce l’homme sans lui laisser le temps de finir sa phrase. De plus, je n’ai jamais vue votre… ‘mère’ que dans les médias. »
Gala fronce les sourcils. Comment ça, il ne l’a jamais vue ? Elle cligne des yeux et finit par ouvrir la bouche. Elle a peur de comprendre.
« Je voulais simplement vous voir une dernière fois. Je pars à Londres la semaine prochaine. Vous saluerez votre mère adoptive de ma part et lui transmettrez mes remerciements quant à l’éducation qu’elle vous a offerte. »


Nous sommes en janvier 1981. Il neige à gros flocon –rien de bien étonnant, jusqu’ici. Mrs. Dasha Reed rentre chez elle après une longue et dure journée à tenter de trouver des points d’entente avec le premier Ministre russe –n’ayant pas obtenu d’entretien avec le Président. L’anglaise, alors âgée de trente-six ans, s’arrête soudain devant une clocharde allongée dans le froid. La jeune femme se tient recroquevillée dans le manteau blanc de l’hiver, indifférente à ce qui lui tombe dessus. Lorsqu’elle aperçoit les pieds de l’ambassadrice de l’Angleterre, elle se détend un peu et roule sur le côté, laissant alors apparaître un bébé de quelques semaines à peine serré contre elle, à moitié mort de froid.

« Le fait que vous ayez une enfant du pays pourrait vous aider dans vos démarches, Madame l’Ambassadrice. Mais il faudra bien en parler dans la presse, afin que cela se remarque, et l’on remarquerait alors que vous êtes aussi impliquée dans le bien-être de la Russie que dans celui de l’Angleterre.
-Je vous remercie, Mr. Wood. Vous pouvez disposer. »
Dasha observe longuement l’enfant endormie dans la chaleur de son lit. Aura-t-elle le temps de s’en occuper ? Cette histoire ne risque-t-elle pas de gâcher la vie toute entière de la petite fille miraculée ? Ferait-elle une bonne mère ?
Le bébé s’agite un peu et ouvre les yeux, silencieuse. En apercevant l’Ambassadrice, elle ouvre la bouche et lève les bras, tout naturellement. Dasha se lève, ouvre la porte et crie quelques instructions en russe dans le couloir, avant de se tourner vers le nourrisson.
« Bienvenue dans la famille, ma petite Gala. »


« Gala, je t’ordonne de t’arrêter ! »
Le cri résonne dans la pièce au sol de marbre. Les talons cessent de claquer, les poings se serrent, la mâchoire se crispe.
« Qui êtes-vous pour me donner des ordres ? Ma mère ? »
Le ton était froid, méprisant. Le silence revient, lourd. Gala jubile. Elle sourit de voir qu’elle n’est pas la seule à souffrir. Elle arrive à trouver une consolation cruelle dans le désespoir de la femme en tailleur qu’elle a longtemps appelé « maman ».
Les talons se remettent à claquer. L’adolescente marche lentement, royale, et quitte le grand palais dans lequel elle a grandi. Elle a longtemps réfléchi à ça, à cette fin. Elle a fait mander son père biologique deux jours plus tôt, et il l’attend au bas des marches.
Mrs. Reed était rentrée la veille. A peine ses bagages par terre, sa fille était venue l’assaillir de questions. La vérité avait fini par éclater, et désormais, Gala était partie.


« Mère ?
-Pas maintenant, Gala, je travaille. »
La petite brune se tient dans l’encadrement de sa porte, regardant sa mère qui est penchée sur son bureau. Elle n’a que six ans.
« Oui, mais… Mère…
-Ca peut attendre, non ?
-Non, justement… Je crois que je me suis blessée. »
Mrs. Reed tourne la tête vers sa fille. Elle tient son bras ensanglanté et baisse la tête d’un air honteux. Pourtant, pas une larme ne coule sur ses joues, et elle ne semble pas avoir mal le moins du monde.
Dasha se relève précipitamment et vient regarder le bras de Gala.
« Mais… Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
-Rien de très grave, je crois. Je courais après Kroshka et je suis tombée sur les dents du râteau du jardinier. Ca va partir, hein ? »
L’Ambassadrice secoue la tête et crie quelques mots en russe, avant de voir accourir la nourrice de l’enfant.
« Conduisez-la à l’hôpital, Emilia. »


« …Et on t’a découvert une insensibilité à la douleur ?
-Oui. Les médecins disent que c’est dangereux, car je peux être atteinte d’une blessure mortelle sans en ressentir la douleur, et donc sans penser que je peux mourir. C’est une maladie assez rare due à un disfonctionnement dans le cerveau, qui… »
Gala s’arrête et fronce les sourcils.
« Pourquoi m’emmenez-vous devant une cheminée ? »
Maxime –son père- rit et sort une petite bourse pleine de poudre de son gros sac. Il le tend à l’adolescente après en avoir pris une poignée.
« Tu ne connais pas le principe de Poudre de Cheminette ? » Elle secoue la tête, l’air dubitative. « C’est simple : tu prends de la poudre et tu te places dans la cheminée. Là, comme ça. Ensuite, tu dis tout haut le nom du lieu où tu veux te rendre, et tu lance la poudre à tes pieds. Compris ?
-Alors comme ça, vous êtes sorcier, vous aussi ?
-Un peu que je le suis ! Allez, dépêches-toi un peu. On va au chemin de traverse. On va en Angleterre ! »


Gala s’ennuie. Depuis trois ans qu’on connaît sa maladie, elle n’a plus le droit de sortir de sa grand maison, ni de sa chambre si sa nourrice ne l’accompagne pas. Alors elle lit, elle lit beaucoup, ou elle dessine, ou elle danse. Elle a même un ami imaginaire qui lui dit ce qu’il pense de tout ce qu’elle fait. Mais parfois, elle n’a plus rien à faire. Alors oui, elle a des tas de jouets et de peluches ; mais à neuf ans, ce n’est plus avec ça qu’on s’amuse.
Gala s’ennuie. Elle fixe le plafond, allongée sur son grand lit, les bras et les jambes écartées. Elle se demande si elle devra toujours être enfermée, ou si un jour, elle pourra partir au ski, ou à Hawaï, ou juste dans la rue. Elle se dit que ce serait bien d’avoir une petite sœur ou un grand frère.
Gala s’ennuie. Elle aimerait bien avoir des amis, à nouveau. Mais sa mère a trop peur de la laisser partir, alors elle lui paie un professeur particulier. Les seules personnes qu’elle côtoie, ce sont des domestiques, sa nourrice, sa mère et son instituteur. Elle aimerait bien parler avec des gens de son âge, jouer à chat sans qu’on fasse exprès de ne pas l’attraper, jouer à cache-cache sans qu’on l’oublie. Elle se demande si tous les enfants d’Ambassadeurs sont confinés chez eux, comme ça.
Elle ferme les yeux un instant et soupire. Le temps passe trop lentement, quand on est tout seul.
Et puis elle les rouvre et pousse un cri. Au dessus d’elle, des tas de peluches et de jouets lévitent. Ils sont collés au plafond, comme si un aimant les attirait. Un fantôme, se dit-elle, il y a un fantôme ici ! Alors elle se recroqueville, se cache sous ses couvertures. Et tout retombe sur elle.


Ca y est. Ca fait deux mois maintenant que Gala vit avec son père, son vrai père, dans une petite maison à l’écart du monde sorcier. Parfois, elle se demande si elle a fait le bon choix, si elle a bien fait de partir. Mais de toute manière, c’est trop tard.
Sa vie ici est totalement différente de l’ancienne. Plus de domestique, plus de nourrice, plus rien. Son père n’est jamais là et elle est vraiment seule, sauf qu’elle peut sortir. La première fois qu’elle est sortie, c’était pour aller demander la nationalité anglaise. On lui a répondu que ce n’était pas possible, qu’elle n’était pas là depuis assez longtemps. Elle a rétorqué qu’elle était la fille adoptive de l’Ambassadrice de l’Angleterre en Russie, alors on lui a dit qu’on la recontacterait plus tard.
La deuxième fois, c’était pour aller faire des courses. En voyant des adolescents sortir d’une école moldue, elle se dit qu’en ce moment, elle devrait être en train de rentrer à l’Ambassade pour les vacances de Noël. Elle grimaça en se rendant compte qu’elle était en train de rater son avant-dernière année à Durmstrang.
Depuis, elle n’était plus sortie.
Elle sait que mrs. Reed l’aide du mieux qu’elle peut de là où elle est. La semaine dernière, elle a reçu sa carte bleue par la poste. Son père était très content, il disait qu’ils allaient pouvoir acheter une plus grande maison. Gala, elle est contente, mais pas trop. Elle a quand même l’impression d’avoir fait une connerie.
La porte s’ouvre en grand. Maxime entre en courant, un sac sur l’épaule, et se précipite dans sa chambre. Deux minutes plus tard, il en ressort, toujours aussi pressé, et vient déposer un baiser sur le front de sa fille.
« Je dois y aller, Gala. Je ne sais pas quand je reviendrai. Surtout, si on te demande, tu dis que tu ne m’as pas vu, d’accord ? »
La jeune russe fronce les sourcils. Elle s’apprête à poser une question, mais il est déjà parti. Alors elle sort de la maison, cherche son père des yeux, et finit par le voir en train de courir, un groupe d’Aurors à ses trousses. Ils finissent par l’immobiliser. Et il est emporté.


« Tu m’envoies une lettre dès que tu es arrivée, d’accord ? »
Gala a onze ans, enfin. Pour la première fois de sa vie, elle va être séparée de sa mère durant plusieurs mois : elle va à Durmstrang. Alors oui, elle a peur, mais en même temps, ça la rend euphorique. Elle va avoir des amis à nouveau, pouvoir sortir, voir plein de monde, et ne plus avoir ces règles si strictes qui lui gâchaient la vie !
« Promis, Mère. Je dois vous laisser, le bateau ne m’attendra pas. »
La petite russe étreint sa mère une dernière fois, avant de se précipiter sur le navire qui l’emmènera dans son eldorado.
Une main lourde vient se poser sur son épaule alors qu’elle pose un pied sur la passerelle pour monter sur le pont. Elle lève la tête, et découvre ainsi un homme tout de rouge vêtu, le crâne chauve couvert d’une chapka et une barbe fournie et bien entretenue au menton.
« On ne court pas sur le bateau. »


Juin 1997.
Gala attrape le courrier qui l’attend devant sa porte. Deux lettres. La première lui vient de sa mère. Elle l’ouvre et la lit en diagonale, anxieuse. « …réussi à obtenir du… » « …joins ta carte d’identité… » « …tu es désormais anglaise. » Gala se crispe, relit la phrase. Ca y est, enfin. Elle a obtenu la nationalité anglaise. Sans prendre la peine de finir le mot de sa mère, elle attrape la seconde enveloppe, le cœur battant. Elle déglutit et regarde longuement le sceau, avant de le décacheter avec précaution. « Chère Mrs. Reed, nous avons le plaisir de vous informer que vous bénéficiez d’ores et déjà d’une inscription au collège Poudlard. » Gala sourit enfin. Ca y est. Elle est admise.


« Comment ça se passe, à Durmstrang ?
-C’est incroyable, Mère ! Même si les règles sont encore plus strictes qu’ici, il y a de la magie et des gens partout ! Je me suis même fait des amis ! Et puis, dans trois mois, il y aura le tournoi des trois sorciers, et je devrai y aller pour y assister. Je ne me suis pas inscrite, parce-que ça me fait un peu peur, mais la prochaine fois, je mettrai mon nom dans la coupe et je gagnerai ! En attendant, j’ai hâte de voir ce à quoi Poudlard ressemble ! »
Dasha sourit. Ca faisait longtemps qu’elle n’avait pas vu autant d’entrain chez sa petite Gala.


« Gala ! Gala !
-Combien de fois je t’ai dit de ne pas m’appeler comme ça ?
-Depuis le début de l’année ou de la journée ? »
Maxime soupire. Pourquoi les gens ont tant de mal à accepter le fait qu’elle ne s’appelle plus Gala ?
« Ben, c’est sur ta carte d’identité moldue. »
Zut, elle a encore pensé à haute voix.
« Oui, donc, Gala, je dis-… »
La réaction ne se fait pas attendre. La russe fait volte-face et attrape sa camarade par le col de la chemise. Si elle était plus forte, elle la soulèverait du sol ; mais manque de muscle, elle se contente de l’étrangler.
« Mon nom, c’est Maxime. »
La pauvre petite Serdaigle hoche vivement la tête, tentant de se libérer. Max sourit et la lâche, l’air satisfaite. Elle tourne les talons et reprend sa marche, faisant claquer ses chaussures sur le sol de marbre de l’école.
« Je voulais juste te dire, Maxime, que le directeur te convoquait dans son bureau cet après-midi, parce-que tu es trop violente. »
Merde.