Il court comme un con Seamus, le bonnet orange que Dean lui a rendu au début de leur collocation enfoncé sur ses oreilles. Il se presse, trop impatient de rejoindre le centre de Pré-au-Lard pour y croiser ses amis. Parce qu'aujourd'hui, c'est le jour des sorties officielles au village sorcier pour les étudiants de Poudlard, et il compte bien en profiter pour passer l'après-midi avec toutes ces personnes qui lui manquent depuis qu'il n'est plus élève. Alors il a prévu d'aller boire un verre avec Jude, Elliot et toute la bande, de payer une glace et des bonbons à Andy, de passer un petit moment avec Spencer s'il la croise. La routine. Mais même si cette journée n'annonce rien d'extraordinaire, il ne tient plus en place et ça depuis le matin même. Pourtant, il a travaillé, ce qui aurait dû le calmer, mais même les remarques de Dean sur son hyperactivité débordante n'ont pas eu le moindre effet. Aujourd'hui, il voit ses amis et ce sourire stupide ne disparaîtra pas de son visage à moins qu'il croise une de ces personnes qu'il n'apprécie vraiment pas, comme Zahari par exemple. Enfin, ce n'est pas ça qui l'empêchera de s'amuser. Il n'aura juste qu'à lui rappeler le souvenir du coup de poing de Jude au bal – parce que oui, même s'il a quitté Poudlard, il reste étonnament bien informé Seamus.

Mais de toutes les personnes qu'il s'attendait à voir, il n'aurait jamais cru que la première qu'il croiserait serait Isaac. Il pourrait passer son chemin, il pourrait se contenter d'un signe de la main. Ils n'ont jamais été vraiment amis à Poudlard. Isaac est calme, beaucoup trop calme pour faire partie des personnes capables de supporter Seamus. Et puis, il n'a jamais eu la moindre envie d'embarquer dans leurs conneries le petit frère de son professeur d'étude des moldus. Alors il lui a uniquement parlé quelques fois, toujours pour la même raison. Et c'est encore une fois celle-ci qui pousse l'irlandais à s'arrêter en plein milieu de sa course pour aller saluer le Serdaigle. C'est un cas d'extrême urgence après tout.

— Oh Isaac ! Ça fait super longtemps ? Tu deviens quoi ? Ta nouvelle année se passe bien ? Il lui serre la main, grand sourire aux lèvres. Parce que le septième année n'a pas changé depuis que lui a quitté Poudlard. Il a l'air toujours aussi posé et innocent. Parfois, il se demande comment c'est possible, puis il l'oublie. Après tout, Isaac n'est qu'une connaissance, pas le genre de personnes qui occupent ses pensées. Et comment va ton frère d'ailleurs ? J'ai pas eu l'occasion de le revoir depuis l'année dernière. Enfin, tu comprends, il est prof, c'est moins facile pour nous.

Et alors qu'il attend la réponse du mini Delpech, il ne peut s'empêcher de l'observer pour en arriver à la même conclusion qu'il a déjà tirée depuis longtemps. Isaac est le sujet parfait, le mec suffisamment mignon pour le projet qu'il entreprend. Bon bien sûr, il aurait pu prendre quelqu'un d'autre, parce que les mecs assez canons de son âge, il y en a quand même un petit paquet. Et depuis maintenant un an, il a assez observé tous ceux qui passaient pour l'affirmer sans le moindre problème. Mais là c'est différent. Ce n'est pas juste une histoire passagère, c'est quelque chose de sérieux, avec des sentiments. Il faut une personne gentille, douce et sûrement attentionné. Alors oui, Isaac est son dernier choix, la perfection si l'on suit ses critères. Enfin, encore faut-il qu'il accepte, mais il a beaucoup d'espoir là-dessus Seamus. Ce n'est pas n'importe quelle proposition qu'il lui fait après tout.

— En fait, je voulais te demander un truc assez gênant. Tu es célibataire en ce moment, n'est-ce pas ? D'accord, question bizarre, surtout venant de Seamus. Il n'est pas habitué à faire ça. Après tout, il n'en a jamais eu besoin. Dean se débrouille tout seul lui, pour trouver des copines. Non parce que si c'est le cas, ça te dira de sortir avec Sybella Tyrel ? Je t'assure qu'elle est super gentille, c'est un amour, et je suis sûr qu'elle adorerait passer du temps avec toi.

Il a l'impression d'être ridicule Seamus. Qu'est-ce qui lui a pris d'essayer de caser sa colocataire aussi. Mais quand il repense à l'air énervé qu'elle avait au bal en voyant Dean au bras de Sofia, il se dit que c'est absolument nécessaire. Parce que même s'il n'a pas la certitude que la Serpentarde est jalouse que son ex soit passé à autre chose, il se dit que ça ne peut pas lui faire de mal à elle aussi de ressortir avec quelqu'un. Et qui d'autre qu'Isaac peut endosser le rôle de copain parfait pour sa petite Sybella ? Personne.

D'un pas étonnamment tranquille et assuré, Isaac revenait d'une brève entrevue avec Sybella Tyrel, événement troublant qu'il n'aurait jamais cru possible moins d'un jour auparavant. La jeune femme était tellement bizarre, il y avait quelque chose en elle de profondément perturbant. Isaac ne savait pas quoi précisément et, pour être tout à fait honnête, il n'était pas sûr de vouloir connaître la raison d'un tel comportement, aussi changeant. Aussi irrationnel. En attendant, tout, de son arrivée à Pré-au-Lard jusqu'à maintenant, s'était déroulé comme dans un rêve, sans d'autre source d'inquiétude que la perte momentanée de ses amis ; de manière surprenante, la présence inattendue de Sybella n'avait pas suffi à déséquilibrer la balance, bien au contraire.

Animé par une insouciance inhabituelle chez lui, laquelle était nourrie par la sensation confuse d'avoir fait quelque chose d'utile, de bien, durant sa matinée, il s'apprêtait à rentrer au château, prévoyant avec délice de s'enfouir sous sa couette et de dévorer un précieux bouquin prêté par un élève à l'âme généreuse. Son imagination, cette petite sournoise, allait lui suggérer qu'une tasse de chocolat chaud serait l'idéal pour achever de rendre son après-midi parfait lorsqu'une tâche orange obscurcit soudain son champ de vision. C'était un bonnet, directement posé sur la tête d'un jeune homme qu'il reconnut aussitôt, à l'image de Sybella lors de leur rencontre quelques instants auparavant et, à peu près, non, exactement de la même façon que l'ancienne élève de Serpentard, il se précipita vers lui sans attendre un salut ou même le moindre signe d'amitié. Qu'est-ce qu'ils ont tous, aujourd'hui ? pensa Isaac, légèrement éberlué. Ils se sont donnés le mot ou quoi ? De plus, Seamus Finnigan, malgré toute la gentillesse qu'on lui prêtait, n'était pas spécialement une personne à laquelle Isaac se sentait prêt à parler spontanément. Pourtant, ce fut avec une bonne humeur contagieuse que l'ex-Gryffondor lui serra la main, l'appelant par son prénom et enchaînant les questions à une vitesse affolante pour le jeune Serdaigle. Décidément, ils le prenaient tous au dépourvu, aujourd'hui. Arrête, s'assena-t-il avec violence. Ce n'est pas comme s'ils le faisaient exprès.

« Oui, ça fait longtemps, dit-il en tâchant de ne pas paraître trop choqué. » Ils ne se sont jamais vraiment parlés, après tout : quand il était encore à Poudlard, Seamus faisait partie de ces élèves populaires et terriblement appréciés qu'Isaac n'avait jamais réussi à fréquenter, faute de pouvoir les imiter. Ils étaient bien trop bruyants et agités à son goût. « Je vais bien. J'essaie d'étudier le plus possible afin de ne pas louper mes ASPIC une seconde fois. » Il s'en voulut presque instantanément : pourquoi ne pouvait-il pas s'empêcher de parler de ses études ? À tous les coups, Seamus, qui était un véritable Gryffondor et réputé pour ses nombreux exploits en matière de brisement de règles, allait finir par le trouver incroyablement assommant. Il préféra se focaliser sur la pensée réconfortante de son frère aîné pour tuer sa honte dans l’œuf, bien que les raisons invoquées eurent le don de le surprendre. Clément paraissait toujours si abordable ! « Il va bien, Clément— je veux dire, le Pr Delpech. Il est fidèle à lui-même. »

Sa voix perdit peu à peu de son assurance alors qu'il remarque la lueur attentive avec laquelle Seamus l'observe. Il a soudain un mauvais pressentiment et souhaiterait être capable de mentir afin de pouvoir s'échapper sans risquer de blesser l'autre jeune homme. Mais il en est physiquement incapable et doit se contenter de rester planté là, un début de méfiance commençant à s'installer dans un coin de sa tête. « Pourquoi tu me demandes ça ? s'écria-t-il, sur la défensive, lorsque Seamus voulut savoir s'il était célibataire. » Le reste de sa déclaration acheva de semer le doute chez Isaac. Il n'était pas sûr de comprendre et il était encore moins sûr d'avoir envie de comprendre : « Ah, fit-il. » Cela avait donc à voir avec Sybella. Bizarrement, il s'y attendait, d'une manière ou d'une autre. C'était comme si cette journée tournait autour de la jeune femme et de ses sautes d'humeur perpétuelles. Mais cela ne l'empêchait pas de peu apprécier les insinuations de Seamus. « Je ne comprends pas. » Au moins, il était honnête, tout le monde était forcé de le reconnaître. « Crois-moi, je ne doute pas du fait que Sybella soit un amour, enfin, une gentille fille, enfin, une bonne personne mais c'est quoi le rapport avec ma situation a-amoureuse ? (Sa voix buta légèrement sur le dernier mot.) Et puis, si elle veut qu'on passe du temps ensemble, et bien, devine quoi : c'est précisément ce qu'on a fait ce matin ! » Sur la fin de sa phrase, sa voix se fit moins douce, plus sèche. Il avait la désagréable impression que Seamus se payait sa tête et ça, ce n'était définitivement pas un bon moyen de finir la journée.

S'ils pouvait tous cesser de lui poser des questions gênantes.

Isaac fait partie de ces gens qu'il pourrait regretter de ne pas avoir fréquenté à Poudlard. Parce qu'il avait une bonne bande de potes Seamus, il s'amusait aussi bien avec ses camarades de dortoirs que certains Poufsouffles, Serpentards ou Serdaigles. Il n'a jamais été difficile, et si en plus la personne en face de lui était irlandaise, il la forçait dans l'heure qui suivait à rentrer dans le FDIP – front de domination des Irlandais de Poudlard – et ça même si la personne en face n'était pas du tout nationaliste. C'est une question de valeurs, de dignité, il le dit assez souvent. Et maintenant il a quitté l'école de sorcellerie, vit avec ses potes à qui il tient le plus et ne devrait avoir aucun regret. C'est le cas, il n'est pas du genre à se morfondre toute la journée en repensant à chaque seconde de ces sept ans et à toutes les erreurs qu'il y a commise. Mais s'il le faisait, Isaac ferait partie de ces personnes qu'il aurait peut-être aimé mieux connaître, qu'il aurait voulu avoir comme ami pour le décoincer un peu, avec qui il aurait apprécié traîner de temps en temps. Ou peut-être pas. Au fond de lui, il est incapable de trouver une réponse définitive vu qu'il ne le connaît pas réellement. Il est toujours temps de se rattraper sauf que pour l'instant ce n'est pas la priorité de l'hyperactif ancien Gryffondor. Non, pour le moment, il le case de force avec Sybella. Et après, quand son amie aura la chance de sortir avec mini-Delpech, il pourra voir s'il regrette l'absence du Serdaigle dans sa bande d'amis de Poudlard ou non. Chaque chose en son temps.

— Oh, vraiment ? Tant mieux alors, faudrait que tu finisses comme- Il fait mine de réfléchir quelques secondes. Il s'appelle comment ce mec ? Ah oui, comme Galaad. Andy m'en parle souvent, tu sais ? Elle me dit que c'est son modèle mais qu'elle aura ses ASPICs avant lui, parce qu'il est gentil et qu'il l'attend. Elle est méchante Andy tu sais, un vrai monstre mais personne me croit. Il regarde Isaac avec un grand sourire. Qu'est-ce qu'ils disaient déjà ? Ah oui, les ASPICs. Donc je disais, j'ai été étonné d'apprendre que t'avais pas eu ton diplôme. Je sais pas trop ce qui s'est passé, je suis poli, j'avais pas demandé tu sais. Mais si tu veux m'en parler, hésite pas. On est pote de toute façon. Sa main vient se poser dans un geste des plus virils sur l'épaule d'Isaac. Mais je veux pas passer pour le mec curieux, ça me regarde pas. Enfin bref, de toute façon, Mr. Delpech aurait été triste de te voir partir, non ? Il doit aimer avoir son petit frère avec lui, il est trop gentil ton frère, tout le monde l'adorait. J'aimerais bien lui envoyer une lettre, tu penses que ça le gênerait ? Puis, je suis sûr que tu auras tes ASPICs cette année. T'es trop fort en vrai Isaac, hein ?

Trop d'énergie. Il a peut-être raison Dean, quand il dit que son ami gagnerait à prendre des calmants. Il ne se rend même pas compte qu'il peut être épuisant pour les autres. Pour lui, son comportement est tout ce qu'il y a de plus normal. Il est curieux, direct même s'il prend désormais des pincettes quand il s'agit de dire des choses méchantes – merci Meredith ! – alors il ne voit pas pourquoi il pourrait avoir un problème. Et c'est donc fier de lui qu'il se dit avoir fait un effort. Parce que c'est un peu ce qu'il faut savoir quand on commence une conversation avec Seamus, ça peut toujours être pire. Son corps bouge presque autant qu'il parle. Il devrait arrêter, se calmer mais il en est incapable. Ses mains triturent le bout de son écharpe aux couleurs de son ancienne maison. Il se dit que ça lui manque Poudlard, cette forme qu'il voit au loin et dans laquelle il a passé de si bons moments. Et puis il pense. Une année de plus dans cette école et il aurait peut-être réussi à casser Sybella avec Isaac là-bas, parce que ça aurait été plus simple pour leur idylle naissante. Mais sans la colocation, sans les différentes raisons qui l'ont poussé à se rapprocher de l'ancienne Serpentarde, il n'aurait sûrement pas essayé de lui arranger un coup. Pour lui, romantiquement parlant, Sybella c'était l'ex de Dean et c'est tout. Mais il faut apprendre à passer outre ce genre de détail gênant.

— Oh mais Isaac, te vexe pas. Je disais pas ça pour te gêner. Pause. Il n'est pas sûr d'avoir bien entendu cette magnifique nouvelle. Oh. Sérieusement ? Vous vous êtes vu ce matin ? La garce, elle m'a rien dit. T'imagine ça toi ? J'essaye de lui rendre service et elle ose me cacher des choses. Il prend un air déçu pendant quelques secondes avant de se rappeler la raison qui le pousse à être là. Donc t'es célibataire et tu as passé du temps avec Sybella. Mais c'est géniaaal. Du coup. Tu penses la revoir ? Tu l'aimes bien ? Elle est gentille avec toi au moins ? Sinon je vais l'engueuler et elle sera encore plus adorable qu'un bébé chat, ou autant plutôt. T'as compris l'idée quoi.

Il finit par se dire que n'importe qui aurait compris, même le gosse de première année qui sait à peine ce que signifie avec une petite copine. Au final, il se rend compte qu'il est peut-être un peu trop motivé par l'idée de mettre son amie en couple. Mais ce n'est pas grave. Il fait ça pour les aider, parce que c'est cool de rendre service à ses potes. Forcément, il pense à l'irlandaise avant de penser au garçon en face de lui, mais ce n'est pas de sa faute. Il vit avec et il voit qu'elle n'est plus un exemple de bonheur depuis que Dean a fait l'erreur de sortir avec Sofia. Le pauvre Seamus, il n'a rien fait pour mériter toutes ces responsabilités qu'est la vie sentimentale de ses colocataires.

Il parlait, Seamus, à une allure si folle qu'elle faillit donner à Isaac la saisissante impression d'avoir le tournis. Mais il n'eut pas le courage de l'interrompre, non, il se contenta simplement de l'écouter avec un sourire poli qui, allié à de brefs hochements de tête attentifs, achevaient de faire parfaitement illusion —au fond, il commençait sincèrement à paniquer alors qu'il tentait d'enregistrer le flot d'informations continu dans lequel l'irlandais tentait visiblement de le noyer. Il n'était pas idiot, Isaac, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être bêtement surpris face à ce soudain intérêt et, s'il parvenait à deviner le sens de ses propos, le fait qu'il ignore les motivations de Seamus avait le don de le perturber.

Il songea, comme pour se rassurer, que le jeune homme n'était pas réputé pour être quelqu'un de fondamentalement méchant. Sans doute, non, bien sûr qu'il n'avait aucune raison de s'inquiéter, malgré les gestes imprévisibles et les paroles surprenantes. Légèrement détendu par cette pensée vaguement réconfortante, ses épaules cessèrent d'être crispées, comme mues par un ressort invisible et il eut même l'audace de laisser échapper un rire nerveux alors qu'il tentait de répondre à tout, sans rien oublier. Stupidement poli, il l'était définitivement alors qu'il s'acharnait à trouver une réplique digne de ce nom. Mais, déjà, Seamus enchaîne et sa triste protestation —« Je trouve que tu exagères pour Galaad et Andy... »— se retrouva bien vite occultée au profit d'un immense sourire et d'une curieuse affirmation.

On est potes de toute façon. Isaac demeura figé un instant avant d'accepter cette phrase comme une évidence, jugeant que la situation était déjà assez bizarre pour qu'il ose émettre la moindre interrogation. Le coin de ses lèvres se haussèrent doucement comme pour dire, Évidemment ! Mais cette esquisse de sourire ne tarda pas à faner lorsque Seamus évoqua l'éternel sujet qui fâche, les ASPIC. La main de Seamus qui claque sur son épaule le coupe dans son élan, il ne trouve rien à rétorquer. Entendre le nom de son frère l'acheva. S'il savait !

« T'es trop fort en vrai Isaac, hein ? conclut finalement Seamus et Isaac profita de cette pause inespérée pour inspirer profondément avant de répondre : C'est gentil mais—mais je ne le suis pas vraiment, tu sais. Fort, je veux dire. Je suis juste... normal » Et parfois terriblement décevant.

Le fait que Seamus s'imagine qu'il puisse être vexé suffit à le faire rougir furieusement, déstabilisé mais surtout profondément gêné. « Non, non, ne t'en fais pas, je ne suis pas vexé, enfin, ce n'est pas grave. » Animé par un réflexe idiot, il fourra ses mains dans ses poches et tritura le capuchon de stylo qui gisait là, abandonné. Le geste mécanique ne l'aida toutefois pas à encaisser la suite. « Service ? répéta Isaac d'une voix désincarnée alors qu'un mauvais pressentiment commençait à l'envahir. Qu'est-ce que tu veux dire ? » Il ne s'attendait pas à une réponse sincère mais n'avait pas su se retenir. La curiosité naturelle des Serdaigles le dévorait.

Si Sybella était gentille ? Cette simple question lui évoqua l'image encore nette de leur entretien, les échanges maladroits, le café brûlant, la douceur inhabituelle. Il superposa cette vision aux souvenirs qu'il avait d'elle, les surnoms idiots, le rire moqueur, l'étincelle joueuse dans le regard. Mais cela ne suffisait pas à atténuer le certain charme qu'avait possédé leur entrevue. Alors c'est sans mentir qu'il répliqua : « Bien sûr qu'elle l'est. Pourquoi ne le serait-elle pas ? Je sais pas si ça suffit pour dire que je l'aime bien —à Poudlard, elle n'était pas spécialement tendre— mais... j'imagine qu'elle avait ses raisons. » C'était bien Isaac, ça, de trouver des excuses aux autres alors qu'ils n'avaient rien demandé, bien que ce trait de caractère possédait ses propres limites. « Se revoir ? fit-il en écho, comme pensif. J'ignore si ça l'intéresserait. » Il ne prit pas la peine de parler pour lui, se méfiant instinctivement de la réaction de Seamus.

« Ne la gronde pas ! se hâta-t-il d'ajouter, presque paniqué. Ça n'en vaut pas la peine, tu sais. » En guise de conclusion, il afficha un sourire crispé, ses mains toujours enfoncées dans ses poches et la dégaine improbable d'un adolescent pris sur le fait pour une faute qu'il ignore encore.

Il n'a pas réellement conscience que ce soudain intérêt puisse faire fuir le Serdaigle. Il est en réalité incapable de comprendre ce genre de comportement. La timidité maladive des gens l'attriste plus qu'autre chose, et même s'il tente parfois de respecter les difficultés qui peuvent survenir chez certaines de ses connaissances pour parler aussi librement que lui avec d'autres personnes, il finit par échouer lamentablement. Il a toujours eu cette manie Seamus, de parler avec des gens qu'il ne connaît pas forcément bien comme s'ils étaient des amis de longues d'acte. Tout chez lui n'est que convivialité. Parfois, il peut mal agir, être un peu brusque avec des gens qui ne l'ont pas mérité. C'est parce qu'il est loin d'être parfait, sa façon de faire loin de plaire à tout le monde. Pourtant il aimerait faire partie de ces gens capables de s'entendre avec tout le monde, ceux qui peuvent faire la fête avec des gens variés sans jamais se prendre la tête. Mais il est définitivement trop direct.

Il ne doute pas une seule seconde qu'Isaac est fort. Peut-être déjà parce qu'il a ce côté calme qu'ont souvent les Serdaigles, parce qu'il est gentil et tout plein d'autres choses au passage. C'est pour ça qu'il est allé voir Isaac au lieu de tous les autres – et aussi parce que c'est le premier à l'avoir rencontré – pour son plan maléfique.

— Mais arrête de te rabaisser Isaac. Tu es trop fort, du genre trop fort. Du genre, t'es capable de tout faire et tu le fais bien. Tu déçois jamais personne. Ou du moins, dans sa tête, c'est l'idée qu'il s'est fait au fil des années du mini Delpech. Il n'est pas allé chercher plus loin, n'a même pas fait attention aux réflexions que lui ont peut-être faites les professeurs pour arriver à cette conclusion. Le fait qu'il soit un peu effacé joue sûrement. Il finit par lui sourire lorsqu'il annonce ne pas être vexé. Ah très bien. Tant mieux si t'es pas vexé, Meredith dit que je suis trop souvent trop direct avec les gens et que je risque de les blesser ou de les mettre mal à l'aise. Mais je fais pas exprès tu vois, c'est un peu involontaire, ou alors c'est que les gens sont vraiment trop cons. L'excuse bateau dont il se sert trop souvent. Ce n'est pas de sa faute, c'est celle des autres qui ne sont pas à la hauteur de ses espérances.

Sybella. Il aime entendre que l'élève trouve sa meilleure amie gentille. Parce qu'évidemment, elle l'est. Pas toujours, un peu trop rarement, mais elle l'est quand même. Il est bien placé pour le savoir, il sait qu'on peut compter sur elle dans les pires moments au monde. Elle est capable de manigancer les pires plans possibles et inimaginables pour l'aider – comme par exemple essayer de rendre Dean jaloux alors – et ça c'est plus qu'appréciable. Il aime savoir pouvoir compter sur les gens, et il se doute que ça doit aussi être le cas d'Isaac. Autrement dit, elle fait la copine parfaite, idéale. Il ne peut s'empêcher de sourire en l'entendant la défendre, en lui donnant des raisons. À croire qu'il ne lui en veut pas pour ces années à Poudlard. En réalité, il ignore lui-même ce qui s'est réellement passé. Il sait que Sybella était loin d'être gentille à l'époque, à croire que l'absence de Serpentards dans la collocation – et surtout la présence d'Hannah – a une influence bénéfique sur elle.

— Oh mais c'est gé-nial. Tu sais, on dirait pas comme ça, elle le cache sous une carapace toute dure, mais elle est toute mignonne. Elle a juste besoin de quelqu'un de gentil de gentil pour s'occuper d'elle. Tu vois ce que je veux dire ? Il le regarde avec une certaine appréhension. Bien sûr que ça intéresserait Sybella. Il est sûr qu'elle ne rêve que de ça, parce qu'il doit avouer que Isaac est plutôt canon. D'ailleurs, ça lui rappelle le jour où il a eu cette conversation avec Dean, parce qu'évidemment depuis qu'il lui a annoncé son homosexualité, son meilleur ami a tendance à lui demander un peu trop régulièrement à son goût comment il trouve tel ou tel garçon de leur entourage. Roh, mais bien sûr qu'elle veut te revoir. Tu veux que je t'avoue quelque chose ? Je suis sûr que tu lui plais beaucoup. Il en a peut-être trop dit finalement. Mais toi, tu veux la revoir, hein ? Vous pourriez sortir boire un verre ? Ou faire une promenade. Ou ce que vous voulez, je sais pas.

Isaac laissa échapper un rire nerveux, tentant vainement de paraître assuré alors que Seamus enchaînait les compliments comme s'il s'agissait d'un fait indiscutable, pire que ça même, d'une évidence. Il mourrait d'envie de lui assurer le contraire, qu'il n'était pas cette personne formidable qu'il s'obstinait à louer et que, oui, il avait les moyens de le prouver puisqu'il avait visiblement vexé la jeune femme lors de leur brève entrevue. Bien qu'il ignorait encore de quelle manière il était parvenu à un tel résultat sans même le chercher et comme Sybella ne semblait pas décidée à lui expliquer, il avait simplement conclu que les choses n'avaient pas tellement changé depuis Poudlard. Cependant, il doutait sincèrement que cela suffise à ralentir l'excès d'enthousiasme de Seamus. Au contraire, il était même plus que possible que la moindre de ses paroles ait l'effet inverse de celui escompté et qu'il finisse par se retrouver empêtré dans une situation improbable.

Seamus lui dédia un sourire auquel Isaac céda un pâle reflet, s'en voulant aussitôt pour ne pas paraître aussi enjoué que l'ancien élève de Gryffondor. Lorsqu'il l'entendit évoquer brièvement ses difficultés à communiquer avec les autres, le jeune homme blond se dépêcha de répliquer d'un ton qu'il s'efforçait de rendre rassurant, sans savoir pourquoi il se sentait obligé de réagir. Il était en réalité autant motivé par une sincère compassion que par la crainte d'être catalogué comme con dans la tête de Seamus. « C'est une qualité, d'être franc. Je t'assure. Il vaut mieux connaître la vérité que— et bien, que de ne pas connaître la vérité. Au moins, tu es sûr que comme ça, tes relations sont, heu, authentiques. » Il n'était pas sûr que l'adjectif convienne à la situation, surtout alors qu'il se débattait lui-même avec le peu de naturel qui lui restait, mais il se contenta d'espérer que Seamus se sente appuyé.

Cette conversation atteignait décidément des sommets d'incohérence, songea distraitement Isaac alors qu'il scrutait le visage de Seamus à la recherche du moindre signe qui pourrait trahir ses véritables intentions. Il craignait de les connaître autant qu'il désirait les savoir, ne jugeant même pas possible que le jeune homme puisse simplement avoir envie de discuter. Cette hypothèse était particulièrement inenvisageable, d'autant qu'il évoquait un peu trop Sybella, ses goûts et ses préférences pour ne pas avoir l'air de préparer un mauvais coup. Naïf, Isaac l'était. Mais pas inconscient.
Pas totalement.

Au final, il avait raison, pensa-t-il alors que les sous-entendus s'enchaînaient et que, sans même chercher à connaître leur véritable sens, il devinait que ce n'était pas bon pour lui.

« Mignonne ?! répéta bêtement Isaac comme si le simple fait de prononcer ce mot à voix haute allait le rendre plus réaliste, comme si agir de la sorte allait lui permettre de superposer tout le potentiel de cet adjectif au visage crispé par une colère froide de Sybella Tyrel. Haussant un sourcil incrèdule, il ajouta : Sans vouloir te vexer, Seamus, Sybella ne ressemble pas à quelqu'un qui aurait besoin qu'on prenne soin d'elle. En réalité, elle a davantage l'air de quelqu'un qui bouffe tous ceux qui tentent de s'occuper d'elle. »

L'idée de plaire à Sybella ne lui arracha pas un soupçon d'intérêt, mais plutôt une sorte de peur irrationnelle qui le traversa de haut en bas. Une étincelle indéchiffrable ne tarda pas à animer son regard. Oh non, Seamus. Tu te trompes. Quant à savoir s'il voulait la revoir, et bien— « Je ne sais pas. » Il pouvait difficilement faire moins vague. Aussitôt, il enchaîna d'un ton dont la vitesse croissante trahissait son trouble et sa rage face à sa propre incompréhension des événements : Un instant, elle est gentille, si gentille que je ne suis pas sûre d'avoir affaire à la même personne que décrivent les rumeurs. Je veux dire, je n'écoute pas les rumeurs mais la plupart du temps, elle s'est employée à les confirmer avec moi. Elle passe son temps à me donner des surnoms idiots et l'instant d'après, elle est, et bien, adorable. Je pige pas, Seamus. D'ailleurs, c'est exactement ce qui vient de se passer aujourd'hui. J'ai simplement laissé entendre qu'elle pouvait se servir de son expérience pour écrire son article de journal sur les couples et elle est partie ! Elle était plus froide qu'un glaçon, je te jure. J'ai rien dit de particulier, pourtant. Tu sais quoi, Seamus ? » Avec un sérieux mortifiant, il ajouta à voix basse : Je ne cherche même plus à comprendre. J'abandonne. »

Réalisant soudain qu'il s'adressait à un proche de Sybella, il baissa la tête vers ses pieds et dit d'une voix maladroite : Pardon. Je ne devrais pas dire ça. Mais je ne sais pas quoi faire avec elle. Je pense pas qu'on puisse, heu. S'accorder, tu vois ? » Il parlait dans un sens strictement non-romantique, évidemment, même incapable de voir à quelles conclusions Seamus voulait le conduire.